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plus évidentes qu’elle découvrait ont amené un résultat qui, à l’ouverture du débat, était certainement difficile à prévoir : la loi contre les anarchistes a été votée à cent voix de majorité ! Cela ne veut pas dire que la Chambre l’estime parfaite et qu’elle la donne comme un modèle du genre. Il est à croire, au contraire, que la Chambre aurait eu quelque appréhension à la renvoyer au Sénat, si elle n’avait pas compté que celui-ci n’y regarderait pas de trop près. Le moindre amendement adopté au Luxembourg aurait tout remis en cause, et obligé la Chambre à recommencer intégralement la discussion. Fallait-il s’exposer aux inconvéniens d’un nouveau débat ? Le premier de tous aurait été la démission du ministère, et, quelle que soit l’opinion qu’on ait sur M. Dupuy et sur ses collègues, leur chute en ce moment aurait été un éclatant triomphe non seulement pour les socialistes, mais pour les anarchistes. Le pays ne voit les choses que dans leur ensemble, et s’explique mal certaines raisons cachées des événemens dont il n’aperçoit que la forme extérieure. De même, et plus encore, l’étranger. Qu’aurait-on pensé, soit en France, soit au dehors, si, après l’assassinat du Président de la République, le gouvernement ayant présenté une loi contre les anarchistes, la loi avait été repoussée et le gouvernement renversé ? C’est une responsabilité que ni la Chambre, ni le Sénat, ne pouvait prendre. La loi a de graves défauts et il faut souhaiter, espérer, demander qu’elle ne survive pas aux circonstances qui l’ont rendue inévitable. Elle ne saurait conserver une place définitive dans nos codes. Elle en devra disparaître. Mais, entre les inconvéniens de la voter telle quelle et celui de donner aux socialistes et à tous leurs amis un succès qui aurait témoigné à la fois de la maladresse du gouvernement et de l’impuissance du parlement, il fallait choisir le moindre, et c’est ce qu’on a fait. Les socialistes devaient être battus, et ils l’ont été. Mis en demeure d’exprimer contre eux, sous une forme législative, le sentiment du pays, la Chambre et le Sénat n’ont pas hésité à le faire. Toutefois, le ministère aurait tort de croire qu’il peut désormais se reposer sur des lauriers si chèrement obtenus. Il lui reste à faire un bon usage de la loi et à gouverner. Si les lois déjà existantes avaient été appliquées avec plus de fermeté, la situation ne se serait pas aggravée comme elle l’a fait en quelques mois. Si la police et la sûreté générale avaient été réorganisées et placées sous une direction unique, l’anarchisme n’aurait pas réalisé de si rapides progrès ni fait couler tant de sang. Le mal dont nous souffrons vient moins de l’insuffisance de nos Codes que de l’inertie du gouvernement. Il est inerte parce qu’il n’a pas de politique arrêtée, parce que sa volonté est vacillante, parce qu’il est mal servi par des agens dont quelques-uns ont, pour leur compte, des tendances et une volonté très différentes des siennes. C’est à ce désordre qu’il est urgent déporter remède. Nous voilà en vacances ; le ministère est débarrassé de ces