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se ménager. Occupée à défendre les Pays-Bas, l’Autriche n’avait pas le loisir de songer à la Silésie, et c’était sur les champs de bataille de Flandre, non d’Allemagne, qu’elle appelait à son aide ses alliés anglais ou russes. Il y avait ainsi, au sud de l’Europe, comme une de ces plaies ouvertes qui, attirant toutes les humeurs aigries d’un corps malade, laissent intactes et saines celles que l’inflammation n’atteint pas. La paix avait fermé ce dérivatif. Marie-Thérèse, libre de toute préoccupation, pouvait s’abandonner à ses ressentimens, et le possesseur de la Silésie comprenait, tout aussi bien que s’il avait fait lecture de la consultation de Kaunitz, où était placé l’unique objet qu’elle allait désormais poursuivre. Si le feu se rallumait, il serait donc le premier ennemi à combattre et les premiers coups s’échangeraient à sa porte ou sur son territoire. Mais en regardant autour de lui, il ne trouvait nulle part ses frontières assurées, ni celle de Pologne où une armée russe pouvait apparaître presque sans coup férir ; ni celle de Saxe, dont le débile souverain lui portait une haine craintive ; ni celle du Hanovre, tant que son oncle l’électeur-roi, sourd aux vœux de ses sujets britanniques, continuait à le poursuivre d’une animosité mesquine. Que Vienne, Londres, Dresde et Saint-Pétersbourg viennent un jour à s’entendre sans que la France soit à temps ou en humeur d’intervenir, il peut se trouver enfermé tout seul dans un cercle de feu.

L’essentiel est donc de ne laisser la France ni s’éloigner ni s’endormir, de la tenir, pour ce cas de surprise, toujours prête et en éveil. Ainsi cette alliance française qu’il traitait naguère de si haut et dont il a su se dégager plus d’une fois avec une aisance si cavalière, dont il nourrit toujours (on l’a vu) le désir et le dessein de s’affranchir, il se rappelle qu’elle subsiste encore, au moins sur le papier et par habitude, et qu’il garde dans sa main un bout de cette chaîne qu’il a lui-même si souvent dénouée. C’est la France qu’il entretient des griefs imaginaires ou réels dont il s’effraie ou du moins fait mine de s’émouvoir ; c’est à la France qu’il signale tous les nuages qu’il croit apercevoir dans le ciel du Nord. Un jour, c’est cette élection du roi des Romains dont Marie-Thérèse ne feint de se désintéresser que pour mieux cacher son jeu et qu’elle compte enlever par surprise, au moyen d’une majorité achetée d’avance et en violation des libertés germaniques dont la garantie a été confiée à la France. Le lendemain, c’est l’adhésion de l’Angleterre à un traité défensif qui, depuis quelques années, liait l’Autriche à la Russie, mais dont il affirme qu’une clause secrète vient d’être particulièrement dirigée contre lui : et en échange la Russie a obtenu la permission de menacer l’indépendance de la Suède au moment où le mari d’une princesse prussienne est appelé à