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les papes, y compris le filioque, cause du schisme d’Orient ; la « fraction du pain » ne serait autre que la messe catholique, avec le dogme de la présence réelle. En outre, on demandait aux Grecs de reconnaître la suprématie du pape[1]. Or, par ces conditions restrictives, on a exclu de l’union les protestans, d’un côté ; et, de l’autre, on a rendu bien difficile la réunion des chrétientés orientales, très attachées à leurs patriarches, et pour qui le mot « confession » est devenu synonyme de « nationalité ».

Chicago offrait un terrain plus favorable que Lucerne ou Jérusalem, pour la réunion d’un congrès des religions. Cette ville, admirablement située sur les rives du lac Michigan, qui est comme la Méditerranée de l’Amérique du Nord, se trouve au centre de ce continent, à peu près à égale distance de l’Europe et de l’Asie, et l’Exposition colombienne, avec ses merveilles, y offrait un attrait de plus pour les étrangers. D’ailleurs, aux États-Unis, l’atmosphère religieuse est plus libre, plus dégagée des nuages orageux qui planent si souvent menaçans à l’horizon du vieux monde. Les dix races qui s’y croisent, au lieu d’être séparées et cantonnées dans des Églises hostiles, comme en Orient, sont étroitement mêlées et, dans ce contact, ont sacrifié leurs préjugés particuliers, pour former une seule nation, qui a un sentiment très vif, tout ensemble, de son indépendance et de sa grandeur cosmopolite. Les Églises, de leur côté, affranchies de tout lien avec l’État, vivent uniquement des offrandes des fidèles ; la participation des laïques aux affaires de leur Église préserve le clergé de l’esprit clérical et rapproche les uns de l’autre dans le sein d’une même patrie, également aimée de tous, parce qu’elle respecte et protège également la liberté de tous les cultes. Le révérend John Henry Barrows, pasteur de la première Église presbytérienne de Chicago, fut donc bien inspiré, quand il conçut le projet de convoquer un congrès religieux dans cette jeune capitale de la civilisation occidentale. Avec un coup d’œil vraiment génial, il comprit le parti qu’on pourrait tirer, pour le réveil du sentiment religieux et pour l’union des Églises, de leur contact avec les religions non chrétiennes ; il résolut d’élargir, comme on dit là-bas, la plateforme du congrès et d’y inviter les représentans de toutes les grandes religions de la terre.

Cette idée d’une conférence entre les ministres de cultes différens est-elle absolument nouvelle, originale ? Évidemment non ; elle a dû venir à l’esprit de tout homme supérieur, de tout souverain philosophe, mis en présence des dissensions religieuses. Elle

  1. Discours de clôture au Congrès eucharistique de Jérusalem (21 mai 1893).