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de pigmens qui suppose une combinaison fortuite, comme celle qui fait naître des fleurs à coloris nouveau de fleurs autrement colorées. Une fois qu’un enfant est né avec une peau plus brune ou plus blanche que ses parens, il peut transmettre cette particularité congénitale à sa propre descendance, surtout si elle offre un avantage et si elle se trouve mieux appropriée au climat. La question des origines physiques de l’humanité et de ses diverses races est donc toujours pendante.

Au reste, ces origines importent peu : en remontant assez haut, on finit toujours par les voir se confondre et nous sommes toujours parens ; ce qui importe au philosophe, c’est le présent et l’avenir. Les anthropologistes ont beau sans cesse invoquer la science, ils font entrer leurs partis pris dans leur science encore en bas âge. Voici des anthropologistes qui, quand il s’agit d’opposer l’homme à l’animal, ne veulent admettre aucune différence essentielle et se font un plaisir de montrer l’unité des simiens et des humains ; s’agit-il, au contraire, d’admettre l’unité des races humaines, tout au moins leur unité mentale, ces mêmes anthropologistes ne veulent plus voir que les oppositions : ils mesurent des crânes, des tibias, etc., et creusent aussi profond qu’ils le peuvent l’abîme du nègre au blanc, après avoir essayé de combler l’abîme du singe au nègre. Le dédain qu’ils montrent généralement à l’égard des psychologues n’empêchera pas ces derniers de maintenir que, si l’espèce humaine est composée de variétés très dissemblables, comme d’individus très différens et par le caractère et par les aptitudes, un nègre ou un jaune n’en sont pas moins des hommes, et qui ont droit, comme le blanc, au respect et à la sympathie. Tous les argumens en faveur de l’esclavage fondés sur la prétendue existence « d’espèces » d’hommes différentes, outre qu’ils reposent sur un principe biologique invérifiable, aboutissent à de fausses conséquences morales. Pour les moralistes en effet, comme pour les psychologues, il n’existe qu’une seule espèce d’âme humaine, à prendre ce mot dans sa plus grande généralité, qui n’exclut nullement la profonde différence entre les hommes. En fait, remontez assez haut dans l’histoire et surtout avant l’histoire, vous verrez toutes les races se réunir dans les mêmes occupations, dans l’usage des mêmes instrumens, dans les mêmes coutumes, dans les mêmes croyances, et jusque dans les mêmes rites funéraires. Aussi la psychologie des races doit-elle d’abord s’efforcer de reconstituer le caractère fondamental qui leur est commun à toutes. Et ce caractère pourra être considéré comme étant celui de l’humanité primitive, sans aucune distinction de couleur ; essayons donc d’en déterminer les traits essentiels.