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Un crâne fuyant, des arcades sourcilières proéminentes, une mâchoire projetée en avant, l’aspect bestial que supposent les crânes humains les plus anciens trouvés à Neanderthal ; des jambes courtes et, comme celles des singes, sans mollets ; une station qui n’était encore qu’à demi verticale et des genoux fortement fléchis, — caractère qu’on retrouve dans les reproductions de l’homme remontant à l’âge de la pierre taillée ; — pour tout langage des gestes, des hurlemens, des cris et interjections, spontanés ou volontaires : voilà, selon les anthropologistes, quel était l’homme primitif, le futur « roi de la création »[1]. On sait que l’embryon de l’homme possède une queue qui disparaît ensuite ; au septième mois il est recouvert, excepté sur la plante des pieds et des mains, d’un épais revêtement de poils destinés également à disparaître. Or l’embryon, si vite transformé aujourd’hui, récapitule successivement les formes principales par lesquelles ont dû passer nos ancêtres, à travers l’immense durée des périodes géologiques. Il est donc probable que le corps des hommes primitifs était en grande partie recouvert de poils. Une gravure de l’époque de la pierre, exécutée sur un bois de renne, nous montre un jeune chasseur qui poursuit un aurochs : son corps est presque tout poilu ; la colonne vertébrale frappe par sa longueur, et sa forme arquée rappelle celle du singe marchant droit sur ses jambes. Beaucoup de peuplades nègres ne sont pas encore entièrement droites, et plusieurs ont une véritable toison.

Certains singes paraissent très voisins des hommes les plus inférieurs, de ce que dut être autrefois l’homme primitif ou son ancêtre anthropoïde. La grande différence, c’est que l’homme, grâce à sa constitution cérébrale, était plus capable de réflexion et qu’il a pu intentionnellement employer des signes pour se faire un langage. La réflexion et la parole sont les caractéristiques de l’humanité dans toutes les races. Mais il ne faut pas se figurer ces deux aptitudes comme toutes développées et en quelque sorte adultes dès l’origine. La période la plus ancienne de la pierre, nommée archéolithique, ne représente pas encore le vrai début de l’humanité. Sans doute cette période a été universelle : on en a retrouvé les traces non seulement dans toute l’Europe, mais encore en Asie, en Afrique, en Amérique. Est-ce là, pourtant, l’humanité primitive ? Non, et la preuve en est dans la lenteur même des développemens qui ont eu lieu pendant les divers âges de la pierre ; lenteur si grande qu’elle présuppose une période encore bien plus longue avant les premières inventions humaines et l’usage des premiers outils. Considérons quelles suites de siècles

  1. Voir à ce sujet le docteur Le Bon, l’Homme et les sociétés. Voir aussi Spencer, Sociologie, t, I.