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décoré. Tout autour de l’orchestre, qui est la partie de l’édifice la mieux conservée, à l’endroit où commençaient les gradins, on trouve trois marches, qui sont assez larges pour qu’on ait soupçonné qu’on y plaçait les sièges des magistrats de la ville. De cette façon, ils pouvaient voir le spectacle sans se gêner les uns les autres ; le milieu était sans doute réservé à d’autres personnages ou restait vide pour certaines danses des mimes. Au-delà des trois marches, l’orchestre est limité et comme enfermé par un petit mur, ou podium, composé de dalles planes, qui sont encore debout à leur place. Il reste à peu près sept rangs de gradins plus ou moins intacts qui formaient la première précinction. Ce qui m’a semblé nouveau, c’est qu’entre cette précinction et la suivante on croit voir les restes d’un autre podium, qui constituerait une division nouvelle. Faut-il croire qu’à Timgad, comme à Rome, en dehors de l’orchestre, où siégeaient les magistrats de la cité, on gardait un certain nombre de rangs pour la haute bourgeoisie ? Ces sept gradins seraient donc l’équivalent des quatorze que la loi de Roscius Othon réservait aux chevaliers dans les théâtres de Rome. Au-dessus de ce podium, on ne distingue plus rien.

Quand on songe qu’on est à Timgad, c’est-à-dire sur les confins de la barbarie, la vue d’un théâtre si élégant dans ses proportions, si parfaitement semblable à ceux qu’on admire dans les pays les plus civilisés, ne laisse pas de causer quelque surprise. Sans doute tous les peuples que Rome a soumis, même les plus sauvages, ont été très vite séduits par les agrémens des jeux publics ; il semble pourtant que tous ces jeux ne devaient pas également leur plaire. Pour ne parler que de l’Afrique, on comprend très bien que cette foule de Romains émigrés, qui n’étaient pas toujours la fleur de leur pays, et ces indigènes encore mal dégrossis, aient pris goût aux combats de gladiateurs : aussi voyons-nous qu’on les aimait beaucoup et qu’on témoignait une grande reconnaissance aux magistrats qui en faisaient la dépense pour amuser leurs concitoyens[1]. On ne goûtait pas moins les courses de chevaux, les luttes d’athlètes, les exercices de gymnastique, qui se donnaient quelquefois dans les thermes publics. Les plaisirs de ce genre ne demandent pas un esprit très cultivé ni une âme très délicate ; mais les spectacles qui se produisent sur un théâtre sont

  1. Dans les environs d’Hippone, on a trouvé une inscription qui dit que toutes les curies (quelque chose comme tous les quartiers de la ville) ont élevé des statues à un riche citoyen « à cause de la magnificence du combat de gladiateurs qui a duré trois jours et dépassé tous ceux dont on avait gardé le souvenir, et aussi à cause de son intégrité. » On voit bien que le combat de gladiateurs a fait plus d’effet sur les gens d’Hippone que les vertus de leur concitoyen.