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d’une autre nature, et il semble qu’ils ne conviennent pas à tout le monde. Je me demande, pendant que je parcours celui de Timgad, ce qu’on a bien pu y représenter. Les théâtres antiques, plus vastes et moins fermés que les nôtres, offraient l’hospitalité à des divertissemens très variés. « C’est là, disait Apulée, que l’acteur de mimes dit ses sottises, que le comédien cause, que le tragédien hurle, que l’histrion gesticule, que le danseur de corde risque de se casser le cou, que le prestidigitateur fait ses tours ; » sans compter le philosophe, comme Apulée lui-même, qui vient quelquefois y donner des conférences. Mais si on laisse de côté quelques-uns de ces divertissemens qui ne paraissaient au théâtre que par occasion, on peut dire que les genres dont il était le domicile propre sont le mime et la pantomime, la comédie et la tragédie[1].

On ne peut pas douter que la pantomime et le mime aient été joués sur le théâtre de Timgad : depuis le commencement de l’Empire, c’était à Rome le spectacle préféré de la foule, et il n’y en avait pas qui convînt mieux à un public de province. Les Pères de l’Église africaine décrivent les gestes lascifs des histrions, en gens qui les ont vus de leurs yeux ; ils parlent souvent des injures qu’ils se disent et des soufflets qu’ils se donnent. Mais si c’était là ce qui paraissait le plus ordinairement sur les théâtres de l’Afrique, comme sur les autres, faut-il croire qu’on n’y voyait pas autre chose ? est-il vraisemblable qu’on n’y ait jamais joué la comédie et la tragédie ? Assurément la comédie et la tragédie n’étaient plus guère à la mode ; mais les jeux revenaient si souvent, et l’on avait au théâtre un tel besoin de variété, qu’on était réduit à faire quelquefois du neuf avec du vieux. C’est la raison qui a dû faire exhumer de temps en temps l’ancien répertoire, qui paraissait nouveau parce qu’il était oublié. Arnobe semble dire qu’on jouait l’Amphitryon de Plaute quand on voulait se rendre Jupiter favorable, et il trouve que ce n’était peut-être pas un bon moyen de lui plaire que de lui rappeler ses vieilles sottises. C’est ainsi qu’aux extrémités du monde, des barbares prenaient quelque connaissance des chefs-d’œuvre antiques ; et, même en supposant qu’on n’ait joué devant eux que des pièces d’un genre inférieur, comme les mimes et les pantomimes, ces représentations n’étaient pas sans quelque utilité pour l’éducation de leur esprit. Il y a souvent dans les mimes, malgré leur grossièreté ordinaire, de très fines observations, et Sénèque trouve parfois plus de sagesse dans les farces de Publius Syrus que chez les philosophes de

  1. Il faudrait y joindre ces concerts de voix ou d’instrumens qui furent quelque temps à la mode sur les théâtres romains.