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profession. Quant à la pantomime, elle mettait sur la scène les personnages et les récits des légendes antiques ; il lui arrivait même de prendre ses sujets chez les plus grands poètes. Songeons qu’on a dansé sur les théâtres les vers de Virgile et d’Ovide. Il semble d’abord que des représentations pareilles n’étaient pas faites pour intéresser beaucoup des spectateurs assez grossiers ; et pourtant nous avons la preuve qu’ils y prenaient du plaisir. Les inscriptions de la province Proconsulaire et de la Numidie mentionnent les jeux scéniques aussi souvent au moins que les combats de gladiateurs, et une fois on nous dit qu’ils ont été donnés à la demande du peuple, populo expostulante. On peut donc affirmer qu’à leur manière ils ont servi la civilisation romaine en Afrique. C’est par eux qu’elle a pu se propager parmi les gens qui ne passaient pas par les écoles ou qui n’ont fait que les traverser : rien qu’en écoutant et en regardant, ils en prenaient quelque idée et se familiarisaient avec elle. Aussi suis-je tenté de regarder ce petit théâtre de Timgad avec quelque respect, quand je songe que les illettrés de la ville et des environs qui sont venus s’asseoir sur ces gradins non seulement y ont passé quelques heures agréables, mais que, selon le mot de Varron, ils en ont emporté chez eux un peu de littérature.

Le théâtre visité, il ne nous reste plus qu’un monument à voir. Sur une éminence, vers le Sud, à 500 mètres à peu près de la ville, s’élève la forteresse byzantine. C’est un grand rectangle de 120 mètres de long sur 80 de large. Elle est entourée de solides murailles et flanquée aux angles de tours carrées. Toute trace d’habitation a disparu à l’intérieur : elle ne devait contenir que des abris légers qui n’étaient pas destinés à durer ; on trouve pourtant, dans l’une des tours, une casemate protégée par une double voûte, qui devait être à l’épreuve des boulets de pierre lancés par les balistes. Les généraux de Justinien, après la défaite des Vandales, firent un grand effort pour s’affermir dans leur conquête ; ils entourèrent les villes de murailles et bâtirent des forts sur les hauteurs. Mais, comme il leur fallait se hâter, ils prirent les matériaux qu’ils avaient sous la main. Les monumens anciens tombaient en ruine : ils achevèrent de les détruire et se servirent des débris pour leurs constructions nouvelles. À Timgad, les murs de la forteresse sont bâtis avec des pierres tumulaires, des fûts de colonnes, des frises de temples, des dalles de pavés. La merveille, c’est que cet assemblage de hasard soit solide et qu’il ait duré. Ces remparts faits à la hâte, avec des pierres ramassées un peu partout et tant bien que mal réunies, ont soutenu des assauts furieux. Dans l’insurrection de 1871, les habitans de Tébessa et des villes