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prédilection. Ces louanges étaient justifiées : à cette époque, on n’avait guère d’autre engrais que le fumier de ferme, dont la production est étroitement liée aux ressources fourragères ; il y a cent ans, aucune industrie agricole ne fournissait de résidus utilisables à l’alimentation du bétail ; on cultivait à peine la betterave ou la pomme de terre : par suite le foin de la prairie et les pailles des céréales étaient seuls distribués aux animaux. Or, la prairie établie en terres sèches ne donne que des produits aléatoires, les graminées qui la forment se défendent mal contre la sécheresse, on l’a bien vu l’an dernier, et on conçoit quel changement amena l’introduction d’une plante fourragère vivant sur les plateaux comme les céréales et y donnant des récoltes plus abondantes, plus nutritives que celles qu’on obtient des prairies naturelles.

On fut d’abord assez malhabile dans cette nouvelle culture, et les échecs étaient fréquens, quand, en 1765, le pasteur Mayer annonça qu’on doublait la récolte du trèfle en le saupoudrant de plâtre. Cette découverte provoqua un véritable enthousiasme ; ce fut, dit Schwertz, le commencement d’une ère nouvelle pour l’agriculture : à la jachère improductive, longtemps considérée comme une nécessité, on substitua avec un immense avantage la culture du trèfle.

Les expériences se multiplièrent en France, en Angleterre, en Amérique ; habituellement elles réussirent. Très vite, on arriva à l’engouement, on s’imagina que le plâtre était un engrais universel qui allait remplacer tous les autres. Il n’en était rien cependant : les mécomptes furent nombreux, et comme ces résultats contradictoires avaient jeté quelque trouble dans les esprits et qu’après avoir exagéré les effets utiles du plâtre il était à craindre qu’on le négligeât outre mesure, la Société d’agriculture de France jugea utile d’ouvrir une enquête. Une série de questions précises fut adressée aux cultivateurs ; des réponses, classées par Bosc, professeur au Muséum d’histoire naturelle, il résulta que le plâtre, très utile sur les prairies artificielles établies sur des terres riches en humus, n’exerçait pas d’action sur les légumineuses semées en terres stériles, non plus que sur les céréales. Ces conclusions ont été confirmées par toutes les observations ultérieures ; mais, quand il fallut essayer de comprendre le mode d’action du plâtre, on se trouva fort empêché.

La question est délicate en effet, et a exercé depuis longtemps la sagacité des agronomes. Rappelons d’abord que le mode d’alimentation des légumineuses, qui bénéficient de l’emploi du plâtre, est très particulier : elles ne prospèrent que dans les sols riches en humus, elles ne fournissent d’abondantes récoltes qu’autant