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l’addition du plâtre, il semble que l’acquisition la plus heureuse que nous ayons faite, pendant le siècle qui finit, soit l’emploi régulier des engrais phosphatés.

Il y a cent ans, nos connaissances relatives à la vie végétale étaient singulièrement bornées, et elles ne pouvaient s’étendre tant que la chimie n’avait pas trouvé les procédés d’analyse qui permettent d’établir la composition des végétaux. Aussitôt que ces méthodes commencèrent à se préciser, un physiologiste genevois, Th. de Saussure, dont la réputation est bien loin d’égaler le mérite, aborda l’analyse des cendres des plantes, et ce mode de recherche se trouva tellement fécond, qu’en 1804 de Saussure put écrire dans ses Recherches chimiques sur la végétation : « J’ai trouvé le phosphate de chaux dans les cendres de toutes les plantes que j’ai examinées, et il n’y a aucune raison de supposer qu’elles peuvent exister sans lui. »

Il semble que l’emploi régulier des phosphates dût découler de cette grande découverte… Point : la parole de Th. de Saussure sonne dans le vide, personne n’y prend garde, et ce n’est que dix-huit ou vingt ans plus tard, par simple empirisme, en répandant sur le sol du noir animal, que furent constatés les merveilleux effets des phosphates.

Sous la pression du blocus continental, qui avait déterminé en Europe une pénurie singulièrement gênante des denrées coloniales, on commença à extraire des betteraves le sucre qu’elles renferment : il est identique à celui que jusque-là fournissaient les cannes des régions tropicales. Le jus qui s’écoule des betteraves écrasées est très coloré ; pour le clarifier, on mit donc à profit les propriétés décolorantes du noir animal, de la substance obtenue par la calcination en vase clos, à l’abri de l’air, des os riches en phosphate de chaux. Mais, après avoir servi pendant quelque temps, le noir animal perd ses vertus décolorantes ; il s’accumulait inutile et gênant à la porte des usines ; pour s’en débarrasser, on le répandit sur les champs voisins. La fortune voulut que ces terres fussent pauvres en acide phosphorique, la récolte augmenta ; le fait fut connu, les essais se multiplièrent, et quand, après la chute de l’Empire, les sucres bruts des colonies arrivèrent de nouveau dans nos ports de l’Océan, que des raffineries s’y établirent et usèrent, comme les fabriques de sucres indigènes, du noir animal, celui-ci y devint abondant. Répandu sur les sols schisteux granitiques de la Bretagne, le noir provenant des raffineries de Nantes présenta une telle efficacité que bientôt les résidus des usines nantaises ne furent plus suffisans pour satisfaire aux demandes des cultivateurs bretons et que de toutes