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les parties du continent le noir animal afflua en Bretagne.

Quand on calcine les os pour en faire du noir animal, on détruit toute leur matière organique, mais le phosphate de chaux, qu’ils renferment en grande quantité, persiste, et il semble qu’en rapprochant leur efficacité, comme engrais, des analyses de Th. de Saussure, on aurait dû rapidement comprendre que la partie active des os est le phosphate de chaux. Il n’en fut pas ainsi ; pendant longtemps les os furent employés comme engrais sans qu’on sût à quelle cause rapporter leur heureuse influence, et c’est seulement en 1843 que le duc de Bedford découvrit qu’elle était due au phosphate de chaux.

À la même époque, Liebig avait reconnu qu’en traitant les os par l’acide sulfurique on rend leur action plus rapide ; ce fut là l’origine d’une industrie qui a pris un prodigieux développement : la fabrication des superphosphates[1].

Aussitôt qu’il fut établi que les phosphates sont des engrais efficaces, se présenta une question qu’il fallait tout d’abord résoudre : Où trouver ces phosphates ? Pendant longtemps on les crut très rares. En 1856, le célèbre géologue Elie de Beaumont, à ce moment secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, publia sur les gisemens géologiques du phosphore un mémoire qui eut un juste retentissement. Elie de Beaumont constatait avec effroi que le phosphore paraît peu répandu à la surface du globe : on connaissait en Estramadure un filon d’apatite, phosphate de chaux dur et cristallin ; on avait trouvé en Angleterre et dans le Pas-de-Calais en France quelques petits cailloux noirâtres riches en phosphate ; mais tout cela paraissait de peu d’importance, et on se demandait s’il ne faudrait pas faire rentrer dans la circulation les phosphates des os humains séquestrés dans les catacombes et même dans les cimetières, quand les recherches de nouveaux gisemens furent couronnées d’un succès éclatant. En France, cette découverte est liée au nom d’un industriel, chercheur infatigable, de Molon, qui le premier signala des quantités exploitables de phosphate de chaux en nodules sur le versant occidental de l’Argonne,

  1. On désigne sous ce nom le produit obtenu en traitant les os ou les phosphates minéraux par l’acide sulfurique. Cet acide s’empare partiellement de la chaux des phosphates, et met en liberté de l’acide phosphorique. Quand les superphosphates, dont la réaction est très acide, sont répandus dans le sol, l’acide phosphorique libre entre rapidement en combinaison, il s’unit à la chaux des calcaires, à l’oxyde de fer, à l’alumine des argiles, il cesse d’être soluble dans l’eau et, au premier abord, on peut être étonné qu’il y ait eu avantage à lui donner une solubilité aussi éphémère, si on ne reconnaissait que les phosphates, insolubles il est vrai, reformés dans le sol, sont gélatineux, floconneux, infiniment plus attaquables par les sucs acides des racines que les pierres dures compactes, ou les os à tissu serré employés à la fabrication.