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Visiblement, nos chances d’augmenter nos récoltes par l’apport des engrais phosphatés seront d’autant plus grandes que nos sols renfermeront moins d’acide phosphorique, et déjà la constitution géologique du domaine nous servira de guide. Les terres provenant de la désagrégation des roches primitives, dans lesquelles le phosphore n’existe pas, seront en général très pauvres ; tout à l’opposé se placeront les terres d’origine volcanique, habituellement très riches ; mais entre ces deux extrêmes se trouvent des sols pour lesquels l’analyse sera notre seul guide.

Les chimistes agronomes ont mis depuis vingt ans une sorte d’acharnement à perfectionner les méthodes de recherches et de dosage de l’acide phosphorique : elles sont excellentes aujourd’hui[1] et peuvent être employées avec sécurité. Un premier point ressort de ces dosages : on trouve l’acide phosphorique dans presque tous les sols cultivés, mais parfois en proportions très minimes ; quand l’analyse décèle moins d’un millième, les phosphates doivent être essayés, la chance de réussite est très grande ; elle est certaine si la proportion d’acide phosphorique dosé tombe à un demi-millième.

Dans la plupart des terres de la Bretagne on ne trouve même pas ce demi-millième, de sorte que les phosphates y exercent une action dont on a quelque peine à se faire une idée quand on ne l’a pas vue. Le sarrasin, qui dans le centre du pays est encore la culture la plus répandue, semé dans un sol sans phosphate n’a pas dix centimètres de haut, souvent la récolte avorte, elle ne porte pas de graines : elle est luxuriante à côté, là où les phosphates ont été répandus.

C’est en Bretagne que pendant trente ans a été employé tout le noir animal qu’amenaient à Nantes des centaines de bâtimens ; c’est la Bretagne qui est aujourd’hui le centre de consommation le plus actif des phosphates pulvérisés provenant de nos départemens de l’Est. Les phosphates ont fait mentir le mélancolique proverbe des cultivateurs bretons, qui disaient de leur terre stérile : « Lande tu as été, lande tu es, lande tu seras ! » La lande disparaît peu à peu ; grâce aux phosphates, la culture du blé y est devenue possible, les ensemencemens ont changé de nature : de 1862 à 1882, le froment a passé de 79 623 hectares à 99 195 dans les Côtes-du-Nord, de 38 923 à 47 992 dans le Finistère, de 115 589 à

  1. Le progrès le plus saillant réalisé dans cette voie est dû à l’emploi du nitromolybdate d’ammoniaque qui permet de précipiter l’acide phosphorique dissous dans l’acide azotique, dans une liqueur très chargée de ce même acide azotique qui maintient en dissolution tous les élémens attaquables par les acides : chaux, oxyde de fer, alumine, magnésie, potasse, silice, etc.