Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 125.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Malheureusement les jours de Velazquez étaient comptés, et, en lui imposant des fatigues excessives, sa charge, après l’avoir si souvent détourné de son art, allait encore abréger sa vie. On sait que le traité destiné à mettre fin à la guerre de la France et de l’Espagne devait être scellé par la conclusion du mariage arrêté entre Louis XIV et sa cousine l’infante Marie-Thérèse. Au lieu d’avoir à reproduire par ses pinceaux les divers épisodes de ce mémorable événement, l’artiste, en sa qualité de maréchal du palais, avait été forcé de présider à tous les arrangemens du voyage de la cour et aux préparatifs de l’entrevue, pour laquelle on avait choisi comme un terrain neutre l’île des Faisans, située près de Fontarabie et appartenant par moitié à chacun des deux pays. Une construction destinée à la conférence avait donc été élevée au centre de cet îlot, et, les deux rois pouvant ainsi se tenir sur la lisière des tapis qui figuraient les limites respectives de leurs États, les convenances du cérémonial rigoureux concerté à cet effet se trouvaient pleinement respectées.

Il faut lire dans le livre de M. Justi[1] le récit de ce terrible voyage des Pyrénées dans lequel Velazquez avait eu, comme fourrier, à pourvoir aux logemens de Philippe IV et de sa suite. Ce n’était pas là une petite affaire, cette suite étant innombrable. La maison seule du ministre, don Luis de Haro, ne comprenait pas moins de deux cents personnes, et quand le cortège se mit en branle, l’avant-garde était déjà aux portes d’Alcala que la queue de la troupe était encore à Madrid. On peut penser ce qu’était une pareille caravane, avec les tapisseries, les livrées de rechange, le linge et la vaisselle qu’il fallait emporter. Par ces chemins difficiles, les étapes journalières n’étaient guère que de six lieues, de moins encore au passage des montagnes. Vingt et une stations avaient été désignées entre la capitale et Saint-Sébastien, et sur la route, dans les villes, les châteaux et les couvens où l’on s’arrêtait, ce n’étaient partout que réceptions, banquets, cérémonies religieuses, combats de taureaux, mascarades et illuminations. Parti le 15 avril 1660, ce long convoi n’arrivait que le 11 mai à destination, et, après les préparatifs et les ennuis d’un tel voyage, Velazquez avait encore à s’occuper des soins qu’entraînait l’organisation des fêtes qui devaient marquer, avec tout l’éclat possible, la réunion de ces deux cours, désireuses de faire en cette occasion assaut de faste et de magnificence.

On sait, par le récit de Mme de Motteville, les incidens qui marquèrent cette réunion et comment, la reine Anne d’Autriche,

  1. Velasquez, t. II, p. 381 et suiv.