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de préparer un 2 décembre. Les radicaux seuls ont pris la chose au sérieux, et même au tragique. Ils nous jurent que nous sommes sous le coup d’une loi de sûreté générale pire que celle de 1858, d’une loi des suspects pire que celle de 1793. Ils n’ont qu’un tort, qui est d’essayer de le prouver. D’après eux, le pays vit sous la Terreur : seulement il ne s’en doute pas. « Mauvais signe, dit Molière, lorsqu’un malade ne sent pas son mal ! » Le fait est qu’il ne le sent pas, et les radicaux ne sont pas parvenus à lui en donner la sensation. Ils ont sollicité une consultation politique de la part des conseils généraux : les conseils généraux se sont tus sur toute la ligne. Deux seulement, croyons-nous, celui des Bouches-du-Rhône et celui du Var, ont émis des vœux favorables au retrait de la loi sur les menées anarchistes. Les autres n’ont rien dit. Ils ont le plus souvent renouvelé leurs bureaux de l’année dernière : lorsqu’ils ont fait des changemens, ç’a été au profit des modérés, au détriment des radicaux. Les présidens élus ou réélus ont exprimé l’horreur qu’a inspirée au pays tout entier le crime du 24 juin. Ils se sont félicités de la rapidité avec laquelle a eu lieu la transmission des pouvoirs à un président nouveau dans lequel ils ont toute confiance. Là se sont bornées les manifestations des assemblées départementales. La campagne radicale ne pouvait pas échouer plus piteusement. Un journal a donné une explication rassurante de ce dénoûment qu’il n’avait pas prévu : « C’est surtout hors séance, a-t-il dit, que les conseillers généraux ont manifesté leur mécontentement de l’orientation actuelle de la politique gouvernementale. » On nous assurera bientôt que c’est au fond du cœur qu’ils ont protesté, mais combien vivement !

La vérité est que la première application de la loi récente a donné lieu à quelques erreurs que nous ne qualifierons pas d’inévitables, car on aurait peut-être pu les éviter, mais dont la gravité a été singulièrement exagérée. Des dénonciations calomnieuses ont été faites à la préfecture de police, et elles ont été suivies de perquisitions qu’il faut regretter puisque rien ne les justifiait, mais contre lesquelles il est puéril de s’indigner comme on affecte de le faire. Ce n’est pas seulement en vertu de la loi contre les anarchistes que la police est exposée à opérer chez les particuliers des descentes et des perquisitions inutiles. Il serait grave, à coup sûr, et odieux qu’un innocent eût été arrêté et surtout condamné. À lire les journaux radicaux, le fait se passe tous les matins, et des écrivains spirituels mais fantaisistes, comme M. Henry Maret, assurent aux bons bourgeois qui les lisent qu’ils ne sont pas sûrs le lendemain, à leur réveil, de ne pas avoir affaire à un commissaire de police ceint d’une écharpe tricolore. La sécurité du foyer domestique n’existe plus ! Or, jusqu’ici, on ne peut citer qu’un cas où la police s’est trompée ou a été trompée. Il s’agit d’un honorable habitant de Colombes, qui a été l’objet d’une visite domiciliaire très