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centaines de racines, certains explorateurs du langage ont bien cru toucher, dans les langues qui ont gardé le plus de transparence étymologique, aux premiers bégaiemens de la parole humaine Ils estimaient que le pas à franchir de là jusqu’à la source était négligeable ou peu s’en faut. Parmi les explications qu’a suscitées la caste, il en est qui font songer à ce facile optimisme. Il a exercé ses ravages jusque sur des esprits qui paraissaient des mieux armés pour s’en défendre.

M. Sherring, par exemple, a consacré de vastes travaux à l’étude directe des castes contemporaines. Quand, un jour, il a songé à coordonner ses vues d’ensemble, à résumer son sentiment sur l’Histoire naturelle de la caste, il a posé les termes du problème avec une fermeté qui n’était pas pour démentir les promesses de son titre. Chose curieuse, qu’un système préconçu ait pu stériliser tant d’observations et de science. M. Sherring ne nous a montré dans la caste que le fruit de la politique sournoise de prêtres ambitieux, fabriquant de toutes pièces et modelant à leur profit la constitution du monde hindou. La comparaison des jésuites et de leurs ambitions théocratiques joue en général dans ces exposés un rôle véritablement excessif. Nous la retrouvons jusque chez un des représentans les plus récens de l’école philologique. M. de Schröder ne semble pas d’abord enclin à exagérer l’autorité du système brâhmanique : il sent que la quadruple division en prêtres, guerriers, etc., ne peut correspondre qu’à une distinction de classes. Ce n’en est pas moins d’elles, et par-dessus tout de la constitution particulière aux brâhmanes, qu’il dérive les castes. S’il fallait l’en croire, le régime serait lié à la réaction victorieuse du brâhmanisme contre le bouddhisme expirant. La formation s’en trouverait ainsi rabaissée jusqu’à l’époque où parut l’homme dans lequel se personnifie ce mouvement, d’ailleurs si hypothétique, jusqu’à Çankara, le philosophe orthodoxe du VIIIe siècle.

Ce sont là les systèmes que j’appellerai traditionnalistes. Ils se répètent, se transmettent sans grand effort de renouvellement. Si ingénieux qu’ils puissent être dans quelques-unes de leurs parties, l’analyse n’en serait guère fructueuse. M. Roth a, par exemple, expliqué les premiers progrès de la caste sacerdotale par l’importance qu’aurait prise peu à peu le pourohita ou prêtre domestique des chefs. En se répandant dans les plaines de l’Inde, les peuplades aryennes se seraient résolues en fractions nombreuses ; elles se seraient émiettées ; les familles royales y auraient perdu en force et en autorité, d’où les kshatriyas : elles seraient tombées au rang d’une simple noblesse. Leur faiblesse aurait fait l’empire des brâhmanes. Toutes les vues d’un esprit si fin et si