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dépensé une ingéniosité singulière à établir sur des bases analogues, — dans l’intérieur du groupe auquel elle appartient, — la préséance de chaque caste, telle qu’elle est, suivant lui, fixée par l’usage hindou. Les groupes se superposent ainsi, suivant qu’ils ont surtout rapport à la chasse, à la pêche, à l’état pastoral, à la propriété terrienne, aux métiers manuels, au commerce, aux emplois servîtes, aux fonctions sacerdotales. Pour me servir de ses propres expressions : « chaque caste ou groupe de castes représente l’une ou l’autre de ces étapes progressives de la culture qui ont marqué le développement industriel de l’humanité, non seulement dans l’Inde, mais dans tous les pays du monde. Le rang que chaque caste occupe, en haut ou en bas de l’échelle, dépend de l’industrie que chacune représente, suivant qu’elle appartient à une période de culture avancée ou primitive. De la sorte, l’histoire naturelle des industries humaines donne la clef de la hiérarchie aussi bien que de la formation des castes hindoues. » Partant de là, M. Nesfield nous montre les différentes professions émergeant de la tribu pour se constituer en unités partielles, et s’élever dans l’échelle sociale conformément aux métiers dont elles vivent. Issue de la tribu dont elle recompose les fragmens d’après un principe nouveau, la caste a gardé de ses origines des souvenirs persistans. C’est au type ancien de la tribu qu’elle a emprunté les règles étroites du mariage et l’interdiction sévère de tout rapprochement avec les groupes similaires. La caste sortirait donc de l’évolution régulière de la vie sociale prise à son niveau le plus bas, et suivie dans sa lente progression. Comment il peut concilier cette thèse avec la date relativement tardive à laquelle il rapporte d’ailleurs la constitution des castes, c’est ce que je ne prétends pas démêler. Quelle apparence que, mille ans avant notre ère, les Hindous fussent encore des barbares, dénués des élémens les plus humbles de la civilisation ?

Encore moins puis-je pénétrer comment, de ce point de vue, M. Nesfield arrive dans cette genèse à réserver aux brâhmanes une part si décisive. Il affirme en effet que « le brâhmane fut la première caste dans l’ordre du temps : toutes les autres furent formées sur ce modèle, s’étendant graduellement du roi ou guerrier, jusqu’aux tribus adonnées à la chasse et à la pêche, dont la condition n’est guère supérieure à celle des sauvages. » C’est des brâhmanes que, par la contagion de l’exemple, par la nécessité de se défendre, s’inspire l’exclusivisme de toutes les castes. Le brâhmane est le fondateur du système. C’est le brâhmane qui a inventé, à son profit, la règle qui seule achève de les constituer, la règle qui interdit d’épouser une femme d’autre caste. Contradiction