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noms de ses membres, afin de n’avoir à rendre compte aux autorités légales d’aucune de ses décisions. A son exemple, et sans doute sur ses incitations, 38 des syndicats parisiens qui s’étaient installés à la Bourse du Travail n’avaient déposé ni leurs statuts, ni les noms de leurs administrateurs. Le but de ces omissions calculées était de tâter le gouvernement, de voir jusqu’où l’on pouvait aller, de faire tomber en désuétude les dispositions défensives de la loi de 1884 et en même temps de laisser le pouvoir dans l’ignorance de l’organisation intérieure des syndicats ainsi que du nom des hommes qui les dirigeaient et qui étaient responsables de cette direction devant la loi. Peut-être aussi certains syndicats, et non des moins bruyans, étaient-ils bien aises de ne pas appeler l’attention sur le petit nombre d’adhérens qu’ils avaient recrutés dans des corporations importantes.

Le gouvernement persévérera-t-il dans l’attitude qu’il a prise lorsqu’il a été poussé à bout, à la veille de la disparition de la Chambre ? N’est-il pas imprudent de faire fond sur sa fermeté ? Le conseil d’Etat a annulé l’élection des prud’hommes ouvriers qui avaient accepté le mandat impératif de toujours condamner les patrons ; ces contempteurs de la justice et de la loi se sont fait réélire, et le gouvernement l’a souffert en silence. On s’on autorise pour dire que la résolution qu’il a prise inopinément a épuisé son énergie, qu’il se contentera d’un semblant de satisfaction et laissera le comité central se reconstituer avec un simulacre de statuts. Nous aimons mieux croire que le gouvernement finira par où il aurait dû commencer, qu’il fera élaborer par le conseil d’Etat, pour la Bourse du Travail, un règlement qui assurera le respect de la loi, et qui, sans rien retirer aux ouvriers des avantages hypothétiques qu’ils attendent de cette institution, empêchera celle-ci d’entreprendre de nouvelles usurpations sur les pouvoirs publics et de se transformer en un gouvernement occulte. Si ce règlement est conçu dans un esprit de bienveillante équité, les syndicats parisiens n’auront plus d’excuse pour refuser de se conformer à une législation qui ne leur impose aucune entrave, aucune obligation onéreuse et qu’ils n’ont bravée que pour faire montre de leur force et dans l’attente de l’impunité. Ainsi se trouverait terminé, par une solution amiable, un conflit dans lequel la victoire doit demeurer à la loi, mais qui pourrait devenir un ferment d’agitation et une source d’embarras pour les pouvoirs publics.

En face des 1182 syndicats formés par les ouvriers, la statistique nous montre 1 105 syndicats formés exclusivement de patrons, et la quasi-parité de ces chiffres atteste que les chefs d’industrie ne