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montagnards de l’Andjerra, proches parens des farouches Djebala, se montraient absolument intraitables sur le chapitre des impôts. Ils poussèrent même l’audace jusqu’à poursuivre dans la demeure même de leur gouverneur la délivrance d’un des leurs brigand fameux dans toutes les régions environnantes, et que le sultan avait fait emprisonner. La révolte prit alors des proportions d’autant plus inquiétantes que la région comprise dans le triangle dont les trois villes de Tanger, Tétouan et Ceuta sont les sommets, est exceptionnellement montagneuse et difficile. La chaîne de l’Haouz, qui en forme tout le relief, n’est que le prolongement du grand massif rifain, et se partage comme celui-ci en chaînons parallèles à la Méditerranée et perpendiculaires par conséquent au détroit. Les pointes déterminent ainsi les nombreuses découpures qui caractérisent la côte méridionale du Gaditanum fretum des anciens, en même temps qu’elles isolent les unes des autres les vallées qui s’ouvrent sur la mer. Quand on a parcouru cette région si sauvage et si tourmentée, on comprend que l’occupation romaine elle-même ait renoncé à l’ouvrir par des routes et par ces ouvrages dont elle s’est montrée si prodigue dans les Maurétanies. Nous savons en effet par l’Itinéraire d’Antonin, ainsi que l’a démontré Tissot, que, même à l’époque impériale, on s’en était tenu aux communications intermittentes qu’offrait la voie de mer : A Tingi littoribus navigatus usque ad Portus divinos. Or, de nos jours, l’Andjerra est encore moins favorisé : les ports romains n’existent plus, à peine y voit-on encore quelques ruines que les sables disputent aux broussailles et ne tarderont pas à recouvrir entièrement. Quant au terrain, il est toujours le même, aussi hérissé de difficultés, et ce sont encore les mêmes populations éternellement batailleuses et mécontentes qui fomentent les révoltes.

Cette fois le péril fut encore conjuré. Des troupes envoyées par le makhzen finirent par avoir raison de la sédition, et les agitateurs, sous bonne escorte, furent menés, chargés de fers, à Merâkech et incarcérés dans la prison d’Etat, tandis que les manœuvres étrangères auxquelles nous faisions allusion plus haut étaient dévoilées.

Pendant le long séjour que fit le sultan à Fez, le gouvernement chérifien subit un rude assaut de la diplomatie britannique, au moment où le ministre d’Angleterre, sir Charles Evan Smith, venant au printemps de 1892 présenter ses lettres de créance, traita par la même occasion des conditions d’une convention commerciale à établir pour abaisser les taxes perçues par les douanes marocaines à l’exportation des céréales. On négocia aussi pour l’installation à Fez d’un vice-consulat de carrière britannique, puis