Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 125.djvu/442

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

activité qui semblera infatigable et qui déconcerta souvent ses ennemis les plus hardis, il prenait chaque année la direction d’une de ces pénibles expéditions où l’on endurait parfois toutes les privations et au cours de la dernière desquelles il succomba.

Sans être, — et il ne le fut peut-être pas assez, — le monarque que rêvait le conseiller de Mohammed-ben-Eccherif et qui, suivant l’expression du chroniqueur arabe, « devait asseoir le palais de sa puissance sur le pilotis de la terreur », Moulaï-el-Hassan, par une diplomatie intérieure dont nous avons apprécié l’habileté, s’attacha à n’attaquer les tribus berbères qu’au moment favorable, alors qu’une longue suite de savantes intrigues avaient préparé le terrain en énervant les forces de résistance. Il faut bien avouer que la médiocrité des résultats, souvent précaires et momentanés, ne récompensa pas toujours les efforts du monarque dont le courage et la persévérance ont été les qualités dominantes.

Trop souvent, en effet, chaque tribu qui avait été l’objet d’une campagne a repris son indépendance une fois que le makhzen était rentré dans ses quartiers. Cependant, au lendemain de sa mort, il laisse l’autorité chérifienne mieux établie qu’elle ne l’était après les règnes de Moulaï-Abderraman et de Sidi-Mohammed et aussi solidement que le comporte un pays tel que le Maroc. On doit en effet observer que, si nous avons vu par la suite des populations comme les Beni-Meguiled, les tribus du Sous, les Djebala reprendre insensiblement après le passage du sultan sur leurs territoires une indépendance relative, elles n’en conservèrent pas moins une crainte salutaire du monarque, et le souvenir de la répression y subsiste encore.

Quant à la diplomatie marocaine, dirigée par quelques fonctionnaires habiles, elle a lutté non sans succès contre toutes les tentatives qui ont été faites, sinon pour modifier depuis vingt et un ans ce statu quo général de l’empire, tout au moins pour soulever les barrières qui ferment de nos jours le vieux Maghreb à nos idées et à nos entreprises modernes. Mais en présence des récens changemens intérieurs qui ont marqué l’avènement du jeune sultan ; de l’emprisonnement de certains fonctionnaires jadis puissans ; de l’entrée en scène de certains autres presque inconnus ; il serait téméraire de prédire quelle sera désormais la politique extérieure du gouvernement marocain : il faut donc surtout compter, si l’on désire éviter l’ouverture d’une redoutable question, sur la prudence et la sagesse des nations européennes, directement intéressées à la continuité d’un état de choses assurément exceptionnel, mais qui néanmoins a jusqu’ici écarté de graves périls.


H. DE LA MARTINIÈRE.