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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 125.djvu/502

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régime, suivant que le contribuable appartient à une classe de citoyens ou à une autre. Les exemptions par classes et les échelles progressives doivent donc être sévèrement prohibées.

Il faut enfin toujours se rappeler qu’il y a des lois naturelles d’incidence. On doit s’assurer que les impôts à établir peuvent se répartir selon les règles de la justice, et c’est pour cela que le choix des impôts est si difficile ; mais on ne peut en déterminer exactement la répartition par des formules législatives. Il est donc nécessaire de se défier de soi-même dans le choix des impôts, car il en est dont l’incidence naturelle peut produire d’autres effets que ceux que l’on poursuit.

Quand la loi décrète que tel impôt frappe sur la production et tel autre sur la consommation, ou, ce qui revient au même, que tel impôt porte sur le propriétaire et tel autre sur le locataire, elle fait le plus souvent une œuvre absurde.

Les impôts sont toujours portés sur la facture du fournisseur, que ce fournisseur soit un propriétaire d’immeuble fournissant un logement, ou un fabricant de toile fournissant une étoffe.

Le consommateur cherche à faire réduire la facture que le fournisseur a majorée en raison de l’impôt, et il peut y arriver par le refus d’une consommation devenue trop chère ou par d’autres combinaisons.

Quand un impôt nouveau est établi, ou quand un impôt ancien est relevé, il arrive tantôt que le prix de la chose vendue augmente et tantôt qu’il n’augmente pas. La lutte entre l’offre du producteur et la demande du consommateur amène ses conséquences nécessaires. La loi décrète l’augmentation de l’impôt foncier, et si au jour de cette augmentation le propriétaire n’est pas embarrassé de trouver des locataires, ce sont ses locataires qui paient la surtaxe. Si, au contraire, les locataires trouvent aisément à ce même moment des propriétaires qui leur offrent des logemens à louer, c’est le propriétaire qui la subit. La loi ne peut jamais déterminer l’incidence absolue d’un impôt, parce que, dans notre civilisation compliquée, et très heureusement compliquée, tout citoyen a le plus souvent des moyens très efficaces de rejeter sur les épaules d’un autre le fardeau de l’impôt que la loi a cru placer sur les siennes.

La grande bataille de l’incidence, pour ceux qui y prennent part, a beaucoup moins pour objet d’éviter l’impôt, qu’ils peuvent la plupart du temps repasser à d’autres, que d’éviter d’être le premier à le payer. Ce qu’on cherche, c’est de ne pas être percepteur pour compte de l’état, c’est d’échapper à l’obligation de verser au Trésor public, avant toute discussion avec les autres