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contribuables, l’argent qu’il exige : on sait bien en effet qu’on sort des écus de sa poche pour les donner à l’Etat, mais on ignore quand on sera remboursé ou même si on le sera jamais.

Quand les constituans de 1789 se sont élevés avec tant de force et beaucoup de raison contre les impôts de consommation, qu’ils n’ont conservés qu’à leur corps défendant, c’est surtout parce que leur méthode de perception ne pouvait produire que d’injustes effets. Le vrai mal de ces sortes d’impôts ne tient pas en effet autant qu’on le croit à ce que ce sont les moins aisés qui en sont le plus affectés, ni à ce que leur tarif, conçu à la façon d’une capitation, constitue par le fait une progression à rebours des facultés, faisant payer aux moins riches une plus forte proportion de leur revenu qu’aux plus riches. Les lois de l’incidence naturelle peuvent y pourvoir et y pourvoient en effet dans une large mesure.

Qu’importe en effet pour le contribuable que l’impôt soit ou ne soit pas progressif, à rebours ou autrement, et que le taux en soit modéré ou excessif, si celui qui en a la charge peut rejeter cette charge sur un autre, si les circonstances lui donnent la possibilité de la transférer au contribuable qui devrait être (en équité désigné pour la supporter ?

La taxe de l’impôt de consommation ne serait pas onéreuse au consommateur ouvrier si elle lui était remboursée dans son salaire au jour de la paie et s’il n’était pas forcé d’en faire l’avance quand souvent il n’en a pas les moyens, et surtout quand il n’est pas toujours assuré de s’en faire rembourser.

La vraie raison pour ne pas imposer ou pour n’imposer qu’à un tarif extrêmement réduit les objets de consommation de première nécessité, c’est donc la nécessité de l’avance et la difficulté du remboursement. Voici des consommateurs ouvriers : ils sont peu aisés, ils ont du travail, mais ils sont obligés avant d’être payés de leur travail, de vivre, et par conséquent d’acquitter l’impôt de consommation sur leur nourriture, et quand ils l’ont payé il peut leur arriver de ne pas pouvoir s’en faire rendre le montant. C’est déjà beaucoup pour eux de commencer par payer, car ils sont hors d’état de faire des avances sérieuses, et s’ils pouvaient en faire de moindres, ce ne pourrait être en tout cas que pour très peu de temps. Et puis, pourquoi leur faire courir le risque de ne pas être remboursés du tout d’une avance qui a un caractère industriel ? Si le paiement de l’impôt par l’ouvrier a le caractère d’une avance industrielle — et cela ne fait pas de doute — la chance du remboursement qui doit leur en être fait est un risque d’entreprise : c’est au patron, au fabricant, au commerçant, et en général à tous