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retrouver un collier de perles semées dans la forêt. Mais peu à peu l’écheveau se dévide, les fils se débrouillent, l’ensemble voulu par la nature apparaît, et, bien que les couleurs restent fort désagréables, on voit les clartés se répondre, s’harmoniser, les perles une à une se rejoindre, s’unir et reformer le collier. — Au premier coup d’œil jeté sur le Troupeau abandonné d’Holman Hunt, on a l’impression d’une blessure. Ces moutons, d’un rouge sanglant, dans des buissons indigo, sur des rochers martelés, comme des nougats, sous un ciel intransigeant, font penser aux pires excès de nos luministes, et lorsqu’on songe que ce tableau date de quarante et un ans, on se demande s’il ne faut pas y voir une des premières manifestations de l’école du plein air, et si les chevaux violets de M. Besnard ne descendent point, par une filiation bizarre, des moutons rouges de M. Holman Hunt. Mais imparfaits comme réalisations, ces essais valent beaucoup comme tentatives. Ces tons posés franchement les uns à côté des autres crient souvent, mais vibrent parfois très fort. Avec toutes ses extravagances, Hunt a fait chanter une couleur qui sommeillait lourdement avant lui. Ce n’est parfois qu’un éclair, mais à cet éclair, on voit combien les P. R. B. ont eu raison d’abandonner l’atelier pour les champs, la tradition mal comprise pour la nature même imparfaitement dévoilée. Ce n’est qu’un mot, mais ceux qui l’ont prononcé avaient confusément pressenti ce qu’il y a de fécond dans l’idée d’opposer le « système du soleil » au « système des renaissans ». Ainsi, plusieurs fois, les P. R. B. ont passé tout à côté des découvertes modernes. A plusieurs reprises, ils ont balbutié les premiers mots de notre dernière révolution esthétique. En les regardant, on a la même impression qu’en lisant la Dixme royale de Vauban : c’est un monde nouveau, non pas clairement vu encore, mais naïvement pressenti et à demi prophétisé. Il ne faut donc pas croire qu’en réduisant à la ligne originale et à la couleur franche tout le pré-raphaélisme, on diminue son rôle : on l’agrandit au contraire. Le nom de leur revue, le Germe, était bien trouvé. Le pré-raphaélisme contenait en germe toute la peinture contemporaine.

Ainsi donc, quelles qu’aient été leurs théories, ou celles de leurs amis, quel que fût le but qu’ils proclamèrent ou qu’on leur prêta, les pré-raphaélites modifièrent profondément chez leurs compatriotes l’idée de la ligne et de la couleur. Peut-être à leur insu, certainement sans qu’ils s’en rendissent un compte très précis, ils introduisirent en Angleterre l’habitude de serrer de près l’expression d’un sujet par des gestes significatifs et de poursuivre l’éclat du ton par une grande naïveté de moyens. Cela pouvait-il