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10 000 ; et les autres départemens pour des quantités à peu près insignifiantes.

Si nous nous élevons d’un degré, si nous cherchons combien, parmi ces vins que la régie a classés dans la première catégorie, forment ce qu’on appelle les crus célèbres, ou simplement connus, la haute aristocratie des vins, nous n’aurons plus à noter que des chiffres minimes. Les quatre premiers crus du Bordelais, — laffite, latour, margaux et haut-brion, — ne donnent ensemble qu’une récolte moyenne de 575 tonneaux ou 5175 hectolitres, dont quatre cinquièmes seulement en « premier vin ».

La châtellenie de Laffite, dont l’histoire est connue depuis le moyen âge, et qui appartenait au XIVe siècle à la famille de ce nom, avait un vignoble constitué dès 1640. Ses produits trouvaient alors difficilement preneurs à 80 ou 100 livres le tonneau, soit une somme correspondant à 45 francs intrinsèques pour la pièce bordelaise de 225 litres. C’était aussi en ce temps-là le prix des vins de l’Ile-de-France, de l’Orléanais ou des Charentes : ceux de la Bourgogne coûtaient plus cher. Après avoir appartenu au président de Ségur, le Château-Laffite passa aux mains d’un autre magistrat, M. de Pichard, qui fut, au cours de la Révolution, guillotiné à Paris. Acheté en 1793 par une société hollandaise 1200 000 francs, en assignats, le vignoble était revendu en 1821 à un Anglais, M. Samuel Scott, qui le paya un millier, mais cette fois en bonnes espèces. Il passa en 1868, à la barre du tribunal de Paris, entre les mains du baron de Rothschild, auquel il fut adjugé 4 140 000 francs.

Ce prix élevé, si on le rapproche de l’exiguïté du domaine, qui se compose d’environ 70 hectares, n’a rien d’exceptionnel puisque le Château-Margaux, dont la contenance est de 80 hectares, a été acquis en 1879 pour 5 millions de francs environ, par M. le comte Pillet-Will, du marquis de Las Marismas, qui en était devenu propriétaire en 1838 moyennant 1 300 000 francs. Le revenu de ces propriétés, dont l’hectare revient à 50 ou 60 000 fr., semblerait encore rémunérateur à qui ne s’attacherait à connaître que le produit brut de ces vins « séveux » et bouquetés, dont le tonneau s’est vendu plus de 5 000 francs en 1881 et plus de 6 000 francs en 1868. Même au prix moyen de 3 000 francs le tonneau, soit 750 francs la barrique, que l’on peut regarder cornue exact en tenant compte des mauvaises années, — le vin de 1893 s’est à peine vendu 2 000 francs le tonneau, — un vignoble tel que Château-Margaux ou Château-Laffite, rapporte brut 4 ou 500 000 francs par an, environ 10 pour 100 de sa valeur.

Mais les frais de culture et de vinification sont si