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LA CIVILISATION
ET LES
GRANDS FLEUVES HISTORIQUES[1]


I.

Si M. Léon Metchnikoff avait survécu à la publication du livre qu’il a écrit sous ce titre, on lui rendrait peut-être un fort mauvais service en ramenant aujourd’hui l’attention sur cet ouvrage. Le jeune savant russe s’y déclarait partisan théorique de l’anarchie. Qu’entendait-il par là ? On ne le perçoit pas très clairement ; l’anarchie lui apparaissait comme l’expression sociale de la solidarité humaine à son plus haut degré de développement. Toujours est-il que ce philosophe attribuait aux grands fleuves la vertu de préparer « les groupemens anarchiques » ; mais il accusait au préalable ces mêmes fleuves d’avoir engendré dans le passé ce qu’il appelait « les despoties fluviales ». Ce n’était là d’ailleurs qu’une des moindres contradictions de cet esprit, torrentueux et trouble comme les grandes masses d’eau qu’il étudiait. Esprit vraiment russe, qui crevait de science accumulée ; d’une science froide et farouche. Il se livrait avec une volupté de martyr à cette maîtresse désolée ; sa probité d’intelligence lui faisait accepter jusqu’à l’exagération les leçons d’écrasement et de fatalité que lui donnaient les sciences naturelles ; et son cœur révolté réagissait

  1. Par Léon Metchnikoff. — Paris, Hachette et C°, 1 vol. in-16.