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naître chez les uns, ni les craintes qu’il a causées aux autres. Il ne reste plus guère de cette improvisation qu’un souvenir déjà à demi effacé. A la vérité, les journaux de M. Crispi d’une part et ceux du Vatican de l’autre se sont empressés, dès le lendemain, d’en diminuer l’importance, et ceux qui y ont vu une sorte d’invite publique à un rapprochement entre le Quirinal et le Vatican en ont été pour leurs frais d’imagination. Peut-être le discours de Naples n’a-t-il été, en somme, qu’un écho de celui de Kœnigsberg. M. Crispi a parlé de Dieu comme l’empereur Guillaume a l’habitude d’en parler lui-même : il y a mis seulement la fougue et la passion qui lui sont habituelles. L’horreur que lui inspire la secte anarchiste n’a pas peu contribué aussi à porter son langage à un diapason très élevé : « Une secte infâme, a-t-il dit, est sortie des antres les plus noirs de la terre ; elle a inscrit sur son drapeau : — Ni Dieu, ni maître ! — Unis aujourd’hui dans une fête de reconnaissance, serrons nos rangs pour combattre ce monstre ; inscrivons sur notre bannière : — Avec Dieu, avec le roi, pour la patrie ! — Cette devise n’est pas neuve ; elle est une conséquence logique de celle de Mazzini, après le plébiscite du 21 octobre 1860. Portons haut ce drapeau et montrons-le au peuple comme un signe de salut. In hoc signo vinces ! » Ce mélange imprévu de Mazzini et de Constantin était fait pour surprendre. M. Crispi s’est inspiré jusqu’ici beaucoup plus du premier de ces modèles que du second. Ses débuts dans un rôle tout nouveau pour lui devaient naturellement attirer l’attention. Ils ont même causé du scandale parmi les libres penseurs et les francs-maçons, et on assure que M. Crispi a eu quelques difficultés avec ces derniers. Ils se sont demandé si le ministre sur lequel ils comptaient le plus n’allait pas trahir la plus sainte des causes ; ils l’ont accusé de s’inspirer lui aussi de cet esprit nouveau qui, depuis quelques mois, a si fort affligé les frères et amis. M. Crispi a été traité comme un autre M. Spuller, ce qui a dû lui être pénible.

Il ne l’avait pas mérité, et les doutes qui avaient pu naître à ce sujet sont aujourd’hui dissipés. Ce qui avait fait presque croire à un complot, c’est l’annonce, concordant avec le discours de Naples, de deux actes émanés, l’un du gouvernement royal, l’autre du gouvernement pontifical, et qui témoignaient d’une bonne volonté en apparence réciproque, alors qu’elle n’était peut-être que simultanée. Le gouvernement italien a donné l’exequatur au patriarche de Venise, auquel il l’avait refusé jusqu’ici sous prétexte qu’il avait été irrégulièrement nommé par le Saint-Siège, et celui-ci a créé une préfecture apostolique en Erythrée, préfecture qui sera confiée à des capucins italiens. On ne saurait croire à quel point l’opinion publique a été sensible à ce fait que le bref pontifical a parlé en propres termes de la « colonie d’Erythrée », qu’elle reconnaissait ainsi au nom de l’Église. Au fond de toute âme italienne, persiste l’espoir qu’un jour ou l’autre le pape et le roi