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appui moral, constaté par une rupture éclatante avec son infidèle allié. La proposition devait en être faite directement à Louis XV, en lui offrant, sans tarder et sans marchander, des avantages assez éclatans pour entraîner et justifier son assentiment.

C’était d’abord au cœur du roi qu’il fallait parler, et Kaunitz avait appris à Aix-la-Chapelle à en connaître le chemin. L’établissement de son gendre, l’infant Philippe, mari de sa fi lie préférée, avait été pendant toute la négociation, le point le plus vivement sollicité par les agens français aussi bien que par les Espagnols. C’était aussi le plus obstinément contesté par l’impératrice, qui craignait toute extension de la maison de Bourbon en Italie, et, à plusieurs reprises, faute de pouvoir obtenir d’elle cette condition sine qua non, tout avait failli être rompu. Finalement il avait fallu se borner à offrir à l’infant et à sa femme les petits duchés de Parme et de Plaisance, domaines de médiocre étendue, dotés de maigres revenus, sans relation directe avec la France et cernés de voisins hostiles. C’était une satisfaction très insuffisante pour une princesse ambitieuse, aimant le luxe, l’intrigue et le pouvoir, et qui, dans sa correspondance très fréquente avec son père, ne cessait d’exhaler ses regrets et ses plaintes sur l’ennui de son exil et le chétif éclat de sa cour. Kaunitz proposa sans hésiter de transporter le ménage princier de l’autre côté des Alpes, et aux portes mêmes de France, en lui assignant dans ces Pays-Bas, objet de tant de contestations, un territoire d’une étendue égale, d’une importance politique bien préférable, et (pour ne rien négliger) d’un rapport pécuniaire supérieur à celui qui devrait être abandonné en Italie. C’était, en réalité, remettre à des mains filiales la clef d’une des plus importantes de nos frontières septentrionales. Pour la garder ou pour la reprendre, que de sang depuis des siècles n’avait pas été répandu ! La céder aujourd’hui de bonne amitié et sans combat, c’était assurément le plus grand sacrifice que l’intérêt politique pût faire à l’affection paternelle.

Une seconde proposition, qui n’était pas de moindre conséquence, et dont j’avoue n’avoir pu prendre connaissance sans surprise, consistait dans la promesse de faciliter par tous les moyens l’avènement du prince de Conti au trône de Pologne. Rien de plus inattendu qu’une telle offre de la part d’un politique autrichien, car rien n’était plus contraire aux traditions de la cour de Vienne que de laisser former à ses portes un centre d’influence française. Varsovie, aux mains d’un prince français, n’aurait pas tardé à devenir une sorte de camp armé où l’indocile noblesse polonaise, toujours en quête de combats, viendrait se grouper autour d’un chef doué d’une autorité suffisante pour se faire obéir.