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en lui l’ancien inquisiteur, le fondateur de l’ordre des théatins, le prêtre austère dont le zèle pour la cause de la religion s’était donné carrière lors du concile de Trente[1]. » Il se repentit d’avoir convoité les royaumes de la terre et ne chercha plus que le royaume de Dieu et sa justice. Celle-ci était alors impudemment outragée. Les scandales de sa propre famille, les honteux excès de ses neveux décidèrent Paul IV à sévir. Il faut lire dans le livre de M. Duruy l’histoire de certain banquet où pour une courtisane un cardinal tira l’épée. Peu de jours après, devant la congrégation du Saint-Office, le pape « flétrit avec véhémence la conduite du cardinal[2] ». Un autre, nommé Pacheco, s’étant hasardé à défendre le coupable, le pontife pâlit de colère et s’écria de toutes ses forces, à plusieurs reprises : « Réforme ! Réforme ! » Et comme le cardinal Pacheco murmurait : « En ce cas, Saint-Père, c’est à nous à donner l’exemple ! » le pape courba le front et garda le silence. Lisez encore le récit du consistoire où Paul IV annonça au Sacré-Collège la disgrâce de ses indignes neveux. Ecoutez, ou plutôt imaginez cette harangue, ces imprécations, ce vieillard en courroux, accusant, maudissant avec des sanglots et des larmes, et vous comprendrez quel pape était celui qui chassa Palestrina de la chapelle Sixtine parce qu’il était marié.

Moins terribles, mais à peine moins sévères furent les successeurs de Paul IV. C’est Pie V, faisant enlever les statues du Vatican. C’est Grégoire XIII, sous le règne duquel, ainsi qu’il est raconté dans le Prince Vitale, le pauvre Tasse, enfant attardé de la Renaissance, eut si cruellement à souffrir. Alors, pourrait-on dire, en ne changeant qu’un mot au vers de Musset :


Alors c’étaient des temps malheureux pour les arts.


Alors on exilait des églises les tableaux pour les figures desquels des contemporains, des contemporaines surtout, avaient servi de modèles. La plupart des traités de peinture publiés dans le troisième tiers du XVIe siècle, celui du cardinal Paleotti, celui de Borghini (le Riposo), ceux de Romano Alberti, d’Armenini, de Comanini, sont des traités de morale et de vertu plutôt que d’esthétique et d’art[3]. Le pape Grégoire XIII, fondant l’Académie de Rome, déclarait en attendre des artistes éminens par la science, la piété et les bonnes mœurs. La Jérusalem délivrée, soumise à la censure ecclésiastique, en encourait toute la rigueur. On ne pardonnait pas au poète d’avoir donné des vertus à des mécréans,

  1. M. G. Duruy, op. cit.
  2. Id., ibid.
  3. Voir : De l’influence du concile de Trente sur la littérature et les beaux-arts chez les peuples catholiques, par M. Ch. Dejob.