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être bien profonde. En outre on se demande quel effet doit produire sur des filles, dont la plupart sont destinées à gagner leur pain, cette halte de quatre ans dans le palais de l’Idéal, hors de la famille, entre la médiocrité du passé et les cruautés de la lutte pour l’existence qui les attend. Car le nom de palais, ou tout au moins celui de château, sied par excellence à Wellesley, mirant sa noble architecture dans un lac enchanté au milieu du parc de 450 acres qui l’entoure. Moyennant la modique somme de 1 700 francs, quelquefois diminuée par les dons ou allégée par les prêts d’une active société de secours, les étudiantes de Wellesley jouissent non seulement de tous les moyens d’atteindre à leurs brevets ou de se perfectionner sans aucun autre but dans les lettres, les sciences et les arts, mais encore les douceurs de la vie matérielle leur sont prodiguées. Elles trouvent bonne table et bon gîte dans les six jolis cottages, placés chacun sous la charge d’une matrone, et qui s’éparpillent autour des bâtimens principaux : collège, école des beaux-arts, hall de musique ; le lac Waban est à elles pour y ramer, y organiser des régates en été, pour y patiner l’hiver ; elles sont enfin à quinze milles de Boston, ce qui suppose un va-et-vient continuel de visites intéressantes. Le jour où je reçus à Wellesley la plus cordiale hospitalité, Richard W. Gilder, le poète, était venu faire une conférence sur le président Lincoln considéré comme orateur, et d’autres convives éminens figuraient à un lunch simplement, mais substantiellement servi, dont la présidente, miss Helen Shafer, faisait les honneurs, tandis qu’une escouade de pensionnaires vaquaient au service. Le fondateur de Wellesley, H. Fowle Durant, a voulu qu’il en fût ainsi en décidant que chaque étudiante contribuerait journellement, l’espace de quarante-cinq minutes, à une partie du travail domestique pour glorifier cette utile besogne, et pour empêcher les prétentions de caste.

La beauté du lieu nous avait tous ravis. Autant que le permettaient la neige et sous un radieux soleil qui la faisait étinceler, nous avions parcouru le parc immense, où tout est réuni : beautés de l’art et de la nature, collines, bois, prairies, eaux jaillissantes. Quelqu’un hasarda une comparaison enthousiaste entre cette académie et celle de la Princesse qui, dans le poème anglais, rassemble autour d’elle toutes les jeunes filles des États de son père avec l’intention d’émanciper le sexe auquel elle appartient. Le rapprochement était d’autant plus juste que le collège de Wellesley, sans aller jusqu’à défendre sous peine de mort son accès aux hommes, est, par exception unique, tout entier entre les mains des femmes, seules admises à composer la faculté, si les hommes