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leur obstination a vaincu ses résistances. Il a été obligé de subir une candidature à laquelle il ne pouvait plus se soustraire, et il a été élu à une majorité qui ressemble à l’unanimité. C’est le sénateur malgré lui. On ne lui a pas donné un mandat, on le lui a infligé.

Tout cela ne serait qu’une anecdote électorale, sans l’impression tout à fait imprévue qui lui est résultée. Nul ne peut dire quel avenir attend M. Waldeck-Rousseau, et rien ne serait plus téméraire que de vouloir le prophétiser. Il a paru lui-même, dans une lettre adressée à ses électeurs à la veille du scrutin, vouloir échapper aux responsabilités plus hautes qu’on chercherait à lui imposer par la suite. Cela prouve précisément qu’il sentait déjà monter autour de lui une confiance qui pouvait, à brève échéance, le mettre en présence de devoirs nouveaux. En toutes choses, M. Waldeck-Rousseau tranche sur l’ordinaire : on a rarement vu un candidat avertir ses futurs commettans qu’il ferait les plus grandes difficultés à se laisser nommer président du Conseil. Ce sont des éventualités qu’on n’a pas l’habitude de prévoir tout haut, et on ne peut le faire avec la parfaite simplicité qu’y a mise M. Waldeck-Rousseau, que lorsqu’on se conforme à un sentiment si général que l’expression en parait toute naturelle, même chez le principal intéressé. Le fait est que l’élection de M. Waldeck-Rousseau a pris, dans la presse, les proportions d’un événement considérable, et que le nouveau sénateur, avant même d’être élu, s’est trouvé désigné à un grand rôle. Inconsciemment, on cherche autre chose que ce qu’on a, et déjà des combinaisons nouvelles s’esquissent avec plus ou moins de précision dans les esprits. Il ne faut pas donner à ce symptôme trop d’importance, mais il ne faut pas non plus le négliger, car il est significatif. La situation actuelle n’apparaît pas bien solide, puisque chacun en a une autre en vue ; elle peut toutefois se maintenir assez longtemps encore. Que de pronostics de ce genre n’avons-nous pas vu déjoués ! Tout ce qu’on peut dire, c’est que le ministère de M. Dupuy trouve en face de lui une situation assez confuse, peut-être par sa faute et parce qu’il n’a pas su prendre une assiette parlementaire bien déterminée. Mais rien n’est encore perdu, et son sort est entre ses mains.

Il est malaisé de se rendre compte de ce qui se passe depuis quelques jours en Extrême-Orient. Les premières victoires des Japonais sur les Chinois n’étaient pas bien difficiles à prévoir, étant donnée l’organisation militaire des deux pays : toutefois, elles ont marqué d’une manière si décisive ; la supériorité des premiers sur les seconds, que la situation générale s’en est trouvée aussitôt modifiée. Les télégrammes qui arrivent en Europe sont naturellement incomplets ; les correspondances mettent longtemps à venir ; on ne peut raisonner, du moins en partie, que sur des hypothèses. Mais quelques-unes sont