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Le luxe public se pourvoit avec l’impôt, c’est-à-dire avec l’argent prélevé, sans le consentement explicite de tous ceux qui le paient, quelquefois avec leur manifeste désapprobation. Les abus sont bien plus à craindre alors. Le luxe public, beaucoup plus que le luxe privé, outre qu’il est plus exposé à la prodigalité parce que ceux qui le dispensent ont une responsabilité très restreinte au regard des abus, se trouve bien plus sujet que le luxe privé à tous les engouemens et partis pris d’école, au favoritisme, à la camaraderie. Personne ne soutiendra en France, par exemple, à l’heure actuelle que les achats annuels faits par l’Etat ou la Ville de Paris aux expositions de peinture et de sculpture soient toujours la manifestation exacte et sûre du bon goût et de l’impartialité.

4° Le luxe est utile pour un emploi intelligent des loisirs. Sans luxe, pour une grande partie de l’humanité, les loisirs deviennent souvent brutaux. Ainsi, les pianos, les instrumens de musique, les billards, presque tous les jouets et articles de distraction, les belles fleurs et les beaux fruits, les serres, les collections, sont des produits de luxe ; tout au moins, si on ne les regarde plus comme tels aujourd’hui, on les a regardés ainsi autrefois, lorsqu’ils étaient encore à la première période de tout produit raffiné nouveau, qui n’est pas encore tombé dans l’usage général.

La production des objets de luxe contribue beaucoup à maintenir les industries domestiques. Il est, en effet, dans la nature de ces objets de ne pouvoir être produits mécaniquement dans de grands ateliers, sinon ils perdent le caractère de distinction qui les doit caractériser. Ainsi les dentelles, les broderies, les gants, la taille ou le montage de pierres et de bijoux, les peintures et décorations de menus articles divers se font souvent au foyer de l’ouvrier. Ces taches occupent parfois les jeunes filles et les femmes, et contribuent à empêcher les campagnes de se trop dépeupler.

5° On peut arguer en faveur du luxe, ce qui n’est cependant pas un avantage pour tous les pays, notamment pour la France, qu’il concourt à prévenir ou à limiter, dans les pays qui y seraient portés, l’excès de population. Il pourrait parer à ce danger qui est réel pour diverses contrées de diverses races, l’Italie, l’Allemagne, la race irlandaise, en répandant le goût et la recherche des objets de convenance et d’agrément, ce que les Anglais appellent les deceticies ; il résulte de ce goût et de cette recherche trois conséquences : un retard dans l’époque du mariage, ce qui, quand il n’est pas trop prolongé, n’offre guère d’inconvéniens ; une réduction du nombre des enfans par mariage, ce qui également, quand