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qu’il fait sur l’imagination. Quand on pense à tous les artistes qui travaillent au-delà du détroit, c’est Watts, le plus sombre, qui fait tache dans la mémoire. Il n’a rien peint qui nous récrée. Il a été le bourreau de tous nos rêves de joies, le bourreau de toutes nos illusions, le bourreau de toutes les formes fraîches, graciles, de toutes les nuances délicates, de tous les plaisirs. Sanson, qui trancha tant de jolies têtes, ne devait pas faire plus d’horreur aux survivans de Thermidor. Et en le voyant, comme en voyant le bourreau, nous pensons à la dernière heure, non seulement des criminels mais de tous les vivans, au seul tableau inévitable de notre vie, à ce que nous serons alors et surtout à ce que nous voudrons avoir été.


II. — L’ART CHRÉTIEN. — M. HOLMAN HUNT

Parmi les innombrables visiteurs du Champ-de-Mars qui se pressaient devant les petits tableaux de M. Tissot et admiraient le long effort et la méditation religieuse d’où ces gouaches sont sorties, bien peu, sans doute, ont accordé un souvenir au créateur de ce genre d’évocation, à l’énergique pionnier qui ouvrit, il y a quarante ans, cette voie où les Bida, les Munkacsy, les Vereschaguine, les Schmalz ont marché depuis, — à Holman Hunt. C’était en 1854. Le jeune pré-raphaélite venait, avec sa Lumière du monde, de rallier tous les suffrages et se trouvait à ce point précis de la vie du débutant heureux où il ne s’agit plus de vaincre, mais de profiter de la victoire. Produire beaucoup pour bien enraciner dans la mémoire du public son nom déjà célèbre, et ne produire que des œuvres semblables à celle qui avait fait son succès pour les imposer plus aisément aux marchands de tableaux et aux riches amateurs, telle était sa voie toute tracée, Holman Hunt ne fit ni l’un, ni l’autre. Il annonça à ses amis qu’il allait partir pour la Terre-Sainte, s’enfoncer dans le désert, et qu’on ne verrait plus son nom au bas d’une toile avant bien des années. Il avait vingt-sept ans. Ses amis, ses protecteurs considérèrent que c’était un suicide. Ils firent tout au monde pour l’en détourner, lui citèrent des exemples. Hunt resta inébranlable. « Je ne veux pas, répondit-il, rééditer toujours la même formule, le même sujet, le même sentiment. L’art a besoin d’air, besoin d’espace, besoin de renouveler ses inspirations. » Il ajouta que depuis longtemps il rêvait de peindre la plus grande de toutes les histoires, celle du Christ, et que pour la peindre de façon à émouvoir les esprits critiques, modernes, il fallait la prendre telle qu’elle s’était passée : humble, locale, humaine, et non pompeuse et idéale, telle que la tradition de