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par grandes masses, se remarque chez Titien, chez les artistes moins préoccupés de l’âme que du corps. Faudrait-il donc voir dans le plissage de la draperie anglaise un signe de mysticisme ? Non, mais Ruskin a prononcé un mot qui nous met sur la voie. Les marbres d’Elgin, canéphores ou Lapithes, Dieux ou Parques, qui sont au British Museum, n’ont point passé déjà soixante-quinze ans à Londres sans influencer profondément les artistes anglais. Les publicistes comme M. Harrison, qui voudraient les rendre à la Grèce et racontent volontiers tout ce que l’Europe perd à ne pas les acquérir, oublient de dire tout ce que leurs compatriotes ont gagné à les posséder. Outre que beaucoup les copient, un très grand nombre s’en inspirent et on en trouve des reproductions dans tous les ateliers. C’est devant eux que se sont formés la plupart des grands artistes d’aujourd’hui. Or le sculpteur grec. — Phidias si l’on veut, — a minutieusement creusé de plis les tuniques de ses déesses, des Parques surtout, ou des jeunes Athéniennes, opposant constamment la complication des étoffes à la simplicité des chairs, l’analyse du drapé à la synthèse du nu. Très frappés par ce procédé, MM. Watts, Leighton et bien d’autres l’ont transporté à la peinture. Ainsi les Grecs, prisonniers comme autrefois, enseignent encore leurs vainqueurs. Lorsqu’on se trouve aux Uffizi de Florence, dans la salle des portraits d’artistes peints par eux-mêmes, on voit la superbe tête blonde et bouclée du président de la Royal Academy, dominant un somptueux manteau rouge à chaîne d’or, se détacher sur un morceau des bas-reliefs du Parthénon. Ce portrait est un symbole. Au fond de toute la peinture académique anglaise, comme au fond du portrait de son Président, on voit vaguement passer les cavaliers de Phidias.

La composition de M. Leighton se ressent parfois un peu de sa formation à l’école allemande de Steinle, chez ces Nazaréens de Francfort où il a appris son métier d’artiste, après avoir appris son métier de peintre à Florence. Ainsi, dans les figures de ses deux fresques du musée de Kensington, les Arts de la guerre et les Arts de la paix, admirablement combinées, réparties et balancées, il y a çà et là un peu d’encombrement, de légères surcharges. Ainsi dans les Arts de la guerre, deux chevaliers, examinant des épées qu’on vient de forger, font exactement le même geste, dans la même attitude, exprimant la même idée : c’est un pléonasme. A gauche, entre un chevalier qu’on habille et un autre auquel on met ses éperons, il y a tout un groupe de second plan, qui alourdit inutilement la composition. Mais dans ses figures isolées, la sobriété de l’art britannique reparaît aussitôt et sa noblesse