Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 126.djvu/15

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est dans la plus brillante situation ; il tient d’une main le glaive et de l’autre la branche d’olivier : qu’il dise un mot, et tous les différends que nous avons avec lui seront accommodés. » Les mêmes assurances furent confirmées le même jour par lord Holderness et par le premier ministre.

Les ministres anglais étaient sans doute sincères en affirmant qu’ils n’avaient songé qu’à la France et n’avaient nulle intention de faire du traité qu’ils venaient de conclure un instrument de guerre contre la Prusse. Leur intérêt de n’avoir qu’un ennemi à la fois était trop évident pour qu’on leur soupçonnât une autre pensée. Mais pour être complètement dans la vérité, il aurait fallu ajouter que tout autre, et même directement opposé, était le sentiment de la tsarine leur associée. Au contraire, pour arracher à la capricieuse princesse une signature qu’elle avait longtemps refusée, il avait fallu lui laisser croire que le premier et même le seul usage qu’elle aurait à faire de ses troupes, si l’alliance venait à les requérir, ce serait de les diriger contre un voisin que, après l’avoir longtemps ménagé, elle avait fini par détester cordialement. D’où venait à la fille de Pierre le Grand cette inimitié violente contre un prince qui au début de son règne avait toujours cherché à se mettre en coquetterie avec elle ? L’incorrigible railleur avait-il cédé à la tentation d’exercer sa verve sarcastique sur les écarts d’une luxure sénile qui n’y donnait que trop d’occasions ? M. d’Arneth l’affirme, et rien n’est plus vraisemblable, bien que j’avoue n’avoir rien trouvé de positif à cet égard, dans la chronique scandaleuse (pourtant si riche) de cette période de l’histoire. Mais toujours est-il que, après avoir résisté pendant des années à toutes les instances qui lui étaient faites, aussi bien de Vienne que de Londres, — après avoir laissé son chancelier Bestucheff constamment surenchérir, sans jamais conclure, sur les subsides qui lui étaient offerts et sur la part proportionnelle qu’il aurait à y prendre, — la tsarine ne se décida à entrer réellement en affaire que quand un envoyé anglais, sir Charles Hanbury Williams, lui fut expédié tout exprès de Dresde, le milieu le plus hostile à Frédéric, tout plein d’une ardeur belliqueuse contre lui. Pour être plus sûr que Williams appuierait énergiquement sur la seule corde qui parût vibrer dans l’âme d’Elisabeth, le ministère anglais avait eu soin de laisser ignorer à son propre agent et ses pourparlers avec Frédéric et ses démêlés avec Marie-Thérèse.

L’éloignement où Saint-Pétersbourg était encore, à cette époque, de toutes les autres scènes politiques d’Europe aidait à cette illusion et ce fut de la meilleure foi du monde que Williams put persuader à Elisabeth que la coalition