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Il est évident en effet que les cafés et les cabarets ne sont pas seulement des lieux de consommation et de débauche ; ils répondent à un besoin de sociabilité que les ouvriers éprouvent comme les autres. Les gens du monde qui ont chez eux toutes les ressources du confort ne savent pas toujours résister à l’attraction du cercle. Ils sont beaucoup moins excusables que l’ouvrier qui n’a d’autre perspective, s’il rentre chez lui, après sa rude journée de travail, que la solitude dans la mansarde sombre, humide et froide de laquelle il est sorti le matin. Le cabaret est son salon à lui ; il y trouve, avec la douce chaleur et la brillante lumière, la société des camarades, l’attrait de la causerie, les séductions du jeu. Puis on y fume, on y boit et l’on s’y enivre. Il en résulte que, si l’on veut lutter d’une manière efficace contre ces influences perfides, il faut donner aux établissemens de tempérance tous les avantages, tous les attraits des lieux actuels de réunion, moins l’inconvénient des boissons alcooliques.

Dans les cafés de tempérance, on peut être admis sans présentation, sans formalités, on n’est pas forcé d’y prendre de consommations, on peut s’y reposer, y écrire, lire le journal ; enfin on y trouve du café, du thé, du chocolat, des limonades et des sirops pendant l’été, le tout dans les conditions de qualité et de prix les plus avantageuses, puisque ces établissemens ne sont pas une spéculation et qu’ils doivent se borner à couvrir leurs frais.

Cette dernière condition est de première nécessité. Il ne faut pas que l’ouvrier qui entre dans un café de tempérance suppose qu’on cherche à l’y attirer en lui faisant l’aumône ; il doit y payer ce qu’il consomme, mais rien de plus ; il faut qu’il s’y sente chez lui, qu’il s’y trouve à l’aise et désire y revenir.

En Suisse, ces établissemens se composent de trois pièces au moins : une salle de lecture et de correspondance dans laquelle il est défendu de fumer, une autre destinée à la conversation et aux jeux, une troisième où se font des cours, des conférences, où se donnent des soirées musicales ou littéraires.

C’est assurément fort bien, mais tout ce luxe d’appartenions n’est pas indispensable ; il suffit à la rigueur que l’ouvrier trouve dans les cafés de tempérance ce qu’il rencontre au cabaret, moins les boissons alcooliques.

En Suisse, les jeux de caries et les jeux d’argent sont interdits. C’est encore une exagération à mon avis. Il ne faut pas chercher à trop bien faire. Si l’on veut attirer les gens dans les établissemens où la sobriété est de rigueur, il ne faut pas les priver d’un des grands plaisirs ((non trouve dans les autres, celui de jouer