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pereur Alexandre n’aura pas quitté le monde sans lui laisser une grande leçon politique, à savoir qu’il vaut mieux, dans l’intérêt de tous, traiter une fière et puissante nation avec estime et générosité qu’avec une réserve voisine de la défiance et de l’éloignement.

Nous n’avons rien dit il y a quinze jours des élections belges, parce qu’elles n’étaient pas terminées. C’est le 14 octobre qu’a eu lieu le premier tour de scrutin ; le second, qui s’est produit le 21, a simplement confirmé des résultats qui étaient déjà presque certainement acquis. Pour la première fois, nos voisins faisaient l’expérience du suffrage universel : on ne peut pas dire qu’elle leur ait parfaitement réussi, malgré l’atténuation qu’ils y ont apportée par le vote plural. M. Beernaert, le ministre qui a présidé à la révision de la Constitution, aurait voulu introduire aussi dans la loi électorale la représentation proportionnelle. L’événement a prouvé qu’il avait vu juste, et un grand nombre de ceux qui l’ont attaqué autrefois rendent aujourd’hui plus de justice à ses conceptions. M. Beernaert est le seul qui ne sorte pas amoindri des épreuves que la Belgique vient de traverser. Tout porte à croire aujourd’hui que sa carrière ministérielle n’est pas terminée, et qu’il est appelé à rendre encore des services à son pays.

On connaît les résultats des scrutins des 14 et 21 octobre. On sait que le parti libéral a été écrasé et presque anéanti ; que le parti catholique a remporté une éclatante victoire et que, de 93 membres qu’il comptait dans la dernière Chambre, il est passé à 104 ; enfin que les socialistes, qui n’y avaient pas un seul représentant, en ont aujourd’hui plus de trente. Ce sont là des faits considérables : ils changent profondément la physionomie politique de la Belgique, et nul ne peut dire encore quelles en seront les suites. Partout en ce moment des questions se posent, qui n’ont que des rapports assez lointains avec celles dont les partis ont longtemps vécu et sur la discussion desquelles ils se sont autrefois constitués. A mesure que le corps électoral augmente en étendue, ou qu’il prend davantage conscience de sa force, l’esprit démocratique qui l’anime exige des satisfactions plus grandes. Quelques-unes de ses revendications sont légitimes, d’autres reposent sur des chimères, d’autres encore sur des passions que les partis ne s’entendent que trop à exciter et à exploiter. Quoi qu’il en soit, devant les programmes nouveaux et le retentissement qu’on leur donne, les anciens groupemens politiques se décomposent et se désagrègent, et on en voit poindre de tout différens. Le contact direct avec la démocratie produit toujours ces résultats, tantôt plus vite, tantôt plus lentement ; mais nulle part à coup sûr les causes ut les effets ne se sont suivis plus rapidement qu’en Belgique : il est vrai que nulle part aussi, sauf en France, on n’est passé d’une manière aussi brusque du suffrage restreint, et très restreint, au suffrage universel. Les élec-