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teurs belges se sont partagés en deux fractions d’ailleurs très inégales. Le plus grand nombre est resté fidèle au parti catholique. Le paysan, surtout dans les provinces wallones, obéit docilement aux influences du clergé. Le parti conservateur est organisé avec vigueur et dirigé avec habileté ; sa victoire était assurée d’avance ; seulement, on ne savait pas quelle en serait la proportion, et elle a dépassé ce qu’on attendait. Ce n’est pourtant pas là qu’a été la surprise des élections dernières : le succès des socialistes a dépassé, lui aussi, toutes les prévisions. Les électeurs non catholiques, — nous prenons, bien entendu, le mot dans le sens que lui donne le vocabulaire politique, — ne se sont pas arrêtés aux libéraux, ni même aux progressistes ; ils sont allés tout droit aux socialistes. Il y a certainement beaucoup d’inexpérience dans leur cas ; il y a beaucoup d’illusions que beaucoup de déceptions attendent ; il y a une grande facilité à se laisser entraîner et duper par des hommes qu’on n’a pas encore essayés et par des mots qu’on n’avait pas encore entendus ; mais enfin le fait est là, et les conséquences peuvent en être graves. C’est toujours un malheur pour un pays lorsque le hasard des élections n’y laisse subsister que les partis extrêmes, après avoir supprimé entre eux tous les intermédiaires modérateurs. Certes, la disparition du parti libéral est regrettable ; la Belgique a perdu en lui un des élémens les plus importans de sa personnalité morale et politique. Nous en dirions d’ailleurs autant du parti catholique si c’était lui qui eût été détruit. La victoire de l’un de ces partis sur l’autre n’a qu’une importance secondaire et provisoire, mais la disparition à peu près complète de l’un d’entre eux a une portée différente. Il n’est pas jusqu’à cette division du pays en deux régions parfaitement tranchées, les provinces wallones presque exclusivement catholiques et les provinces flamandes libérales et socialistes, qui ne soit de nature à susciter des préoccupations, ou du moins qui en éveillerait si la Belgique n’avait pas acquis, à travers les épreuves d’une vie commune déjà longue, un sentiment aussi vif de son unité.

Toutefois, le parti libéral ne doit pas désespérer de lui-même. Si le suffrage universel a des entraînemens imprévus, il a des retours qui ne le sont pas moins. Nous avons eu et nous avons encore en France des partis qui semblent vaincus pour toujours, et qui ne renoncent pas à la lutte. Un parti n’est vraiment mort que lorsqu’il signe lui-même son acte de décès, c’est-à-dire lorsqu’il abdique. Le temps n’est peut-être pas aussi éloigné qu’on pourrait le croire où les libéraux belges seront rappelés sur la scène pour y réparer les fautes que d’autres auront commises. Peut-être aussi, lorsque la fumée du combat sera tombée et que, de part et d’autre, les cœurs seront apaisés, verra-t-on plus clair dans la situation actuelle. Le triomphe des catholiques est si grand qu’il en devient embarrassant. On leur demandera beaucoup : pourront-ils faire grand’chose à moins de se transformer ? Quand un