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Jugurtha et des Numides mérite d’être appelé par le même Juvénal une pépinière d’avocats, nutricula causidicorum.


II

Ces avocats n’étaient pas seulement de ces grands hommes de province dont la réputation reste enfermée dans la ville où ils exercent leur profession. Quelques-uns passèrent la mer et firent à Rome même une grande figure. Le plus ancien dont il soit fait mention vivait vers le milieu du premier siècle, du temps de Vespasien et de ses fils. C’était Septimius Severus, le grand-père de celui qui devint empereur et fonda une dynastie. Il était né à Leptis, qui ne passait pas pour être une ville fort lettrée, ce qui ne l’a pas empêché de prendre une des premières places parmi les orateurs de Rome. Stace, dont il était l’ami, exprime l’opinion générale quand il lui dit : « Qui croirait jamais que Leptis, cachée au milieu des Syrtes, soit ta patrie ? Est-il possible d’admettre qu’un si charmant esprit ait passé ses premières années loin des collines de Romulus ? » Et il ajoute ces mots, qu’on a eu l’occasion dans la suite d’appliquer à beaucoup d’autres personnes qui venaient du même pays que Severus :


Non sermo pœnus, non habitus tibi,
Externa non mens : Italus, Italus.


Le nombre des lettrés africains qui se firent connaître à Rome augmenta vite. Quelques années plus tard, au début du siècle des Antonins, on comptait parmi eux le premier des orateurs du temps, Cornélius Fronto, né à Cirta, qui fut le maître et l’ami de Marc-Aurèle, et un grammairien célèbre, Sulpicius Apollinaris, qui était de Carthage. Aulu-Gelle, qui les fréquentait tous les deux et les admirait beaucoup, nous les montre discourant ensemble, au Palatin, sur des sujets littéraires, pendant qu’ils attendent le lever de l’empereur. Ils pouvaient s’y rencontrer avec plusieurs de leurs compatriotes, Servilius Silanus d’Hippone, Eutychius Proculus de Sicca, Postumius Festus, Annius Florus et bien d’autres encore, qui étaient devenus aussi des personnages d’une certaine importance.

Si je voulais, dans le nombre, choisir celui qui me semblerait représenter le mieux la littérature africaine, je ne prendrais pas Fronton, malgré sa renommée, et quoiqu’il ait été regardé de son temps comme un chef d’école. Assurément Fronton n’oublia pas le pays d’où il était sorti ; nous le voyons accepter d’être patron de Calama et de Cirta, et il s’est chargé de remercier l’empereur, dans un discours pompeux, au nom des Carthaginois, qui avaient reçu