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annoncé par Merlin. L’enfant fut assassiné par Jean sans Terre… Ils attendirent longtemps, puis de nouveau ils acclamèrent le Revenant dans cet autre Arthur, duc de Bretagne, le connétable, qui, avec Jeanne d’Arc, écrasa les Anglais. — Ainsi les prophéties de Merlin passèrent de peuple en peuple, enflammant les Bretons d’Angleterre contre les Anglo-Saxons et les Bretons de France contre les Anglais ; en un mot, les Celtes de partout contre les races conquérantes. Cette légende, coupée cent fois et cent fois repoussée comme le rosier qui unit les tombes de Tristan et d’Iseult, n’est pas demeurée le privilège de la Grande-Bretagne. De ce côté-ci comme de l’autre côté de la Manche, on a raillé longtemps « l’espoir breton », c’est-à-dire cette fidélité à une dynastie disparue et à un idéal intangible qui a animé pendant dix siècles les guerriers armoricains, qui anime peut-être encore aujourd’hui les électeurs du Finistère, et qui fit, qu’en 1793, lorsque les chouans marchaient au combat, ce n’était pas le nom de Louis XVII qui retentissait dans leurs chants nationaux, c’était encore et toujours le nom de l’immortel blessé de Camblann, du roi Arthur…

Sir Edward referme son livre et songe à la singulière destinée des légendes… Même aujourd’hui, l’Espoir breton n’est pas mort. Il n’est pas plus resté enseveli dans l’ossuaire de Quiberon que dans la chasse de Glastonbury. On voit renaître dans le monde entier de la pensée un courant sympathique au cycle d’Arthur. Ce n’est plus une espérance politique, c’est une opinion esthétique. L’esprit celtique s’est réveillé et s’insurge contre l’esprit teuton. Il ne s’agit plus de chasser hors de l’île les fils des anciens Saxons et des Angles, mais toutes ces figures d’un académisme faux et lourd qui sont jadis venues d’Allemagne, et aussi cette conception aristocratique de l’art qui règne depuis si longtemps dans le Royaume-Uni. La mélancolie, le mystère, la subtile douceur de l’esprit celtique sont revenus à la mode avec le pré-raphaélisme. En même temps, le goût de l’art décoratif, de l’art appliqué aux choses utiles, aux meubles, aux maisons, aux outils de la vie, de l’art démocratique en un mot, remplace le goût exclusif du tableau de chevalet, « friandise réservée aux riches comme le Champagne ou les orchidées. » Le mystère opposé à l’historiette, la libre fantaisie substituée à l’agrément académique, la conception éducatrice et populaire de l’Art succédant à son rôle aristocratique, voilà des produits de l’esprit celtique. Les chefs de ce mouvement, chose bien curieuse à noter, sont des Gallois, des Irlandais, des Écossais des montagnes, précisément les descendans des vaincus de Camblann. « J’ai vécu moi-même, dit M. Grant Allen, à Oxford, lorsque l’esthétisme était encore un culte ésotérique. Et j’ai remarqué alors que presque chaque