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Napoléon fut enchanté ; il semblait même un peu ému, et chacun de féliciter son voisin en répétant avec admiration : « L’Empereur a ri ! l’Empereur a applaudi ! »

Aux comédiens du monde succèdent les professionnels. Subvention de cent mille francs, décret de 1803 qui associe les comédiens français pour l’exploitation du théâtre, divise la Société en vingt-cinq parts, admet les nouveaux à quart de pari, haute surveillance de M. de Rémusat qui les gouverne comme un premier gentilhomme de la chambre d’autrefois, — tout atteste une sympathie raisonnée, la volonté précise de renouer la tradition de Louis XVI, son pauvre oncle, comme il l’appellera après le mariage autrichien. Une salle de théâtre s’élève derrière l’orangerie du palais de Saint-Cloud : aux premières logos, les princes et les princesses de la famille impériale, les dames d’honneur ; au rez-de-chaussée, les généraux, sénateurs, conseillers d’État ; aux secondes, les invités et personnes attachées à la cour. L’inauguration solennelle se fait le 12 juin 1803, avec Esther jouée par Talma, Monvel, Lafon, Mme Duchesnois, Volnais ; tout le corps diplomatique est là, et personne n’ose applaudir, ni pleurer avant le signal du maître ; il occupe seul le devant d’une loge à droite du théâtre, au fond ses aides de camp se tiennent debout ; en face, dans la loge de gauche, trône Joséphine entourée des dames du palais. En 1805, les comédiens français donnent quelques représentations à Saint-Cloud : les Templiers, le Mariage secret, le Meilleur. Déjà l’empereur a pris l’habitude de ne consulter que son bon plaisir. Vous serez favorisés, privilégiés, nantis, rentés, Messieurs de la comédie, mais vous marcherez comme un régiment, et pour vous aussi le mot « impossible » sera rayé du dictionnaire. S’il prend au maître fantaisie de voir jouer par exemple le Tartufe des mœurs, et que la principale actrice, Mme Desrosiers, soit malade, qu’importe ? Mlle Mézeray apprendra le rôle en vingt-quatre heures et le jouera. « Dès que l’Empereur, observe Mme de Rémusat, avait prononcé cet irrévocable je le veux, ce mot se répétait en écho dans tout le palais. Duroc, Savary surtout, le prononçaient du même ton que lui ; M. de Rémusat le répétait à tous les comédiens, étourdis des efforts de mémoire ou du dérangement subit auquel on les soumettait. Les courriers partaient pour aller chercher à toute bride les hommes ou les choses nécessaires. La journée se passait on sottes petites agitations, dans la crainte qu’un accident, ou une maladie, ou quelque circonstance imprévue ne s’opposât à l’exécution de l’ordre donné… Il faut avoir vécu dans les cours pour savoir à quel point les plus petites choses prennent de la gravité, et combien le mécontentement du maître, même quand il s’agit