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Westphalie, rois de Bavière, de Wurtemberg et de Saxe, grand-duc Constantin, prince primat, prince Guillaume de Prusse, duc d’Oldenbourg, prince de Mecklembourg, etc. La contrainte est telle que personne n’ose jeter les yeux sur son voisin ; les acteurs, eux-mêmes, gênés, étriquent involontairement leurs gestes. Alexandre et, à son exemple, chaque souverain tint à honneur de laisser quelque riche souvenir aux artistes de la Comédie. Napoléon leur accorda des gratifications prises sur sa cassette particulière, et le bordereau des dépenses occasionnées par le voyage, le séjour et le retour de la troupe ne s’éleva pas à moins de 38 000 francs.

Grande rumeur au Théâtre-Français en juin 1813 : l’Empereur mande ses fidèles. Mais quoi ! point de tragédiens : seuls les comédiens ont ordre d’arriver sans perdre une minute à Dresde, et de se frotter les mains, et d’espérer leur revanche, une réédition d’Erfurt. Tout se passe militairement : 3 000 francs à chaque voyageur pour frais de route ; 1 500 francs aux chefs d’emploi pour leurs dépenses particulières ; ceux qui n’ont pas de voiture en trouvent une à leur porte ; les domestiques, les bagages suivent en diligence. A Dresde, les appartemens sont retenus suivant les grades. D’ailleurs MM. de Bausset et de Turenne, chargés de la surintendance du théâtre, s’efforcent de deviner leurs goûts, leurs désirs, de leur épargner l’ennui d’un séjour à l’étranger. Avec une rapidité féerique, ils ont arrangé dans l’orangerie du palais Marcollini une salle qui peut contenir 200 personnes. Les comédiens débutent le 22 juin par la Gageure imprévue et la Suite d’un bal masqué, pièce qui faisait fureur à Paris. Et pourquoi cette infidélité ? L’influence de Marie-Louise a-t-elle décidé ce miracle, ou plutôt cette disposition naturelle de l’esprit qui, au printemps de la vie, s’attache aux illusions héroïques, et respire vers les passions violentes dont la tragédie reflète l’image, tandis que, dans l’automne, il se rapproche davantage du monde réel, étudie avec plus d’intérêt la société, les caractères et toute la mécanique compliquée des sentimens tempérés ?

Mais il y a un dieu pour les tragédiens. Un beau matin, on apprend que Mlle Georges, la transfuge de 1808, est à Dresde : elle s’est échappée de Saint-Pétersbourg, a gagné Stockholm, retrouvé Bernadotte, qui lui a donné une escorte, un parlementaire ; le roi Jérôme l’adresse à Napoléon, et Caulaincourt l’a reçue à sa descente de voiture. Elle tombe dans les bras de ses camarades, qui déguisent leur mauvaise humeur, aux pieds de l’empereur, qui la relève tendrement, et la voilà pardonnée, fêtée, comblée de faveurs ; le télégraphe est mis en mouvement, Talma arraché de Bordeaux, Saint-Prix enlevé de Paris, et, quatre jours après,