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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 126.djvu/437

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XII

Cette même année 1812 marque quelque désarroi au Théâtre-Français : décors lamentables, figurans mal habillés, orchestre piteux ; Andromaque défigurée à la cour ; diction monotone, ennuyeusement vaporeuse, de certains acteurs, avec la « lourde éternité de syllabes mortellement allongées », vides fâcheux par les départs successifs de Contât, Dazincourt, Grandménil, Monvel, Mme Talma ; abus des congés ; représentations de la Comédie désorganisées par celles de Fontainebleau, Compiègne, Saint-Cloud, à tel point qu’en août les pensionnaires seuls jouaient Adélaïde du Guesclin ; disette de pièces nouvelles, public de plus en plus rare. L’année 1813 s’annonce sous de meilleurs auspices : le décret de Moscou ramène petits et grands dans le devoir ; l’Empereur veut qu’on s’amuse, que la joie officielle masque les sombres perspectives de la retraite de Russie : on ira au spectacle, comme on va au bal, la mort dans le cœur. Les comédiens votent l’achat de trois chevaux pour le service des armées, donnent une représentation gratuite, deux tragédies nouvelles, Tippoo-Saïb de Jouy, et le Ninus II de Brifaut ; puis ce sont les débuts de Mlle Humbert, où, à la grande joie du parterre, une dame s’élança de sa loge en criant : « Bravo, Talma ! » et en lui envoyant des baisers enthousiastes. On rapporte même qu’un vieil officier, qui avait fait dix campagnes, s’évanouit en le voyant jouer Oreste, et, lorsqu’il revint à lui, interrogea : « Dites-moi, a-t-il tué sa mère ? » Pendant la campagne de France, la foule continue d’assiéger les théâtres. Talma se prodigue dans Ninas II, Iphigénie en Aulide, Rhadamiste, Œdipe ; les acteurs lisent les bulletins de victoires. Tous ces théâtres donnent des spectacles destinés à réchauffer le patriotisme : à l’Opéra, l’Oriflamme ; à l’Ambigu : Charles-Martel ou la France sauvée ; à la Gaîté : Philippe-Auguste à Bouvines ; à l’Opéra-Comique : Bayard à Mézières ; aux Variétés : Jeanne Hachette ; aux Français : le Siège de Calais et la Rançon de du Guesclin, d’Arnault, où Mlles Georges et Mars chantèrent faux et contribuèrent à la chute de la pièce. Déjà le mécontentement grandit et se manifeste au moyen de l’opposition par allusion ; ainsi l’on applaudit avec frénésie ce couplet du Tableau parlant :

Vous étiez ce que vous n’êtes plus,
Vous n’étiez pas ce que vous êtes,
Et vous aviez pour faire des conquêtes,
Vous aviez ce que vous n’avez plus.

En plein mois de mars, le théâtre Feydeau remporte un de