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entre les deux pays, comme il arrive toujours lorsqu’on s’explique loyalement sur ses intérêts réciproques, sur la manière dont on les comprend, et surtout sur les limites qu’on leur donne. Il est aisé alors de s’entendre, après avoir évité ou dissipé tous les malentendus. C’est ce qui nous est arrivé avec M. Moret et ce qui continuera certainement après lui, car, ici encore, il s’agit d’une politique permanente, reconnue bonne pour les deux pays. Pourquoi donc M. Moret a-t-il donné sa démission ? On assure, et rien n’est plus vraisemblable, que c’est à cause des traités de commerce ; mais rien ne prouve que ce soit seulement pour s’être montré disposé à en préparer un avec nous. M. Moret a mis peut-être quelque hâte à en conclure d’abord avec d’autres puissances, et on a vu qu’il s’en est trouvé ensuite assez embarrassé puisqu’il n’a pas osé les soutenir devant le Parlement. Son embarras parait être venu de ce que, si ces traités étaient votés et ratifiés, nous en profiterions en vertu de la clause de la nation la plus favorisée : l’Espagne se trouverait donc désarmée dans ses négociations avec nous et placée dans la nécessité, ou de nous tout accorder, ou de nous tout refuser, voire de ne pas renouveler le modus vivendi. Le gouvernement espagnol a compris, un peu tard à la vérité, qu’il ne pouvait pas établir son système douanier en faisant abstraction de la France, sa seule voisine immédiate, et M. Moret, le négociateur des traités antérieurs, s’est retiré, laissant la place à d’autres, qui seront moins gênés que lui pour reprendre l’œuvre dans son ensemble. C’est, croyons-nous, la seule signification qu’il faille donner à sa retraite. Il serait d’ailleurs difficile d’en trouver une quelconque dans la composition du nouveau ministère Sagasta. La concentration que nous avons longtemps pratiquée en France n’était rien en comparaison de celle dont use M. Sagasla, et que les circonstances expliquent au surplus très bien en Espagne. S’il a fait entrer dans son ministère M. Maura, un protectionniste avéré, il y a pris également M. Puigcerver, qui est un libre-échangiste déterminé. Il y a même donné accès à M. Abarzuza, un républicain de l’école de M. Castelar, ce qui n’a rien de dangereux pour la monarchie, mais non plus pour la France, dont M. Castelar a toujours été l’ami dévoué. Ce remaniement ministériel n’a donc rien d’inquiétant même au point de vue commercial, et, au point de vue politique, il n’est pas douteux que M. Groizard, le nouveau ministre des affaires étrangères, suivra les mêmes principes que M. Moret.


Francis Charmes.
Le Directeur-gérant,
F. Brunetière.