la France ; ce n’étaient donc pas ses inquiétudes personnelles qui auraient dû l’émouvoir et qu’elle aurait pu partager. Mais il est impossible de méconnaître qu’à un point de vue plus général, les prévisions du chancelier étaient justes et que si, le traité débattu à Versailles venant à manquer, l’Autriche eût été ramenée par l’Angleterre dans le giron de l’ancienne union antifrançaise, le danger qui aurait alors menacé la France était le plus grave peut-être qu’elle eût couru depuis les derniers jours de Louis XIV. Délaissée par la Prusse, dont elle ne pouvait plus attendre qu’une neutralité perfide, elle aurait vainement promené ses regards sur toute l’Europe sans y rencontrer un visage ami. L’Allemagne entière lui était fermée, tous les cliens qu’elle y avait comptés dans les guerres précédentes étant aussi ceux de Frédéric et livrés par lui à la dévotion de l’Angleterre. L’Espagne elle-même, dont l’alliance lui avait été souvent onéreuse, mais lui garantissait autrefois la sécurité d’une de ses frontières et le repos d’une partie de l’Italie, n’aurait pas cette fois répondu à son appel : car un habile ministre anglais avait presque entièrement ruiné notre influence à Madrid, et il était aidé dans son travail souterrain par une reine portugaise qui, n’ayant pas de postérité, ne portait que peu d’intérêt à la maison de Bourbon représentée par des héritiers nés d’un autre lit que son époux. C’était Bernis, on l’a vu, qui allait être envoyé pour regagner le terrain perdu, mais ce n’était pas en se présentant tout meurtri d’un échec personnel, au nom d’une cour universellement délaissée, qu’il aurait eu chance de le reconquérir. L’Espagne était faible, et les faibles ne croient et ne vont qu’à la fortune et à la force.
Enserrée ainsi dans un cercle d’hostilités ouvertes ou sourdes qui se serait étendu depuis les rives de la Baltique jusqu’au détroit de Gibraltar, — sous les yeux d’une Europe attentive où personne n’aurait fait de vœux pour elle, — la France aurait dû aborder le terrible duel où elle était sûre de rencontrer la supériorité reconnue des forces navales de l’Angleterre. Le jour où le revers qui était à craindre serait arrivé, c’était à qui se serait mis en mesure de tirer parti de son malheur. Car l’expérience a trop souvent prouvé que ceux qui n’ont pas d’alliés, la veille d’un désastre n’ont plus que des ennemis le lendemain. En tout cas, ce ne serait pas l’Autriche qui eût été la moins empressée à profiter de notre abaissement. Le moins qu’elle eût réclamé pour se venger du mépris qu’on aurait témoigné à ses offres et pour compenser la renonciation définitive qu’elle aurait dû faire de la Silésie, eût été une extension de ses frontières partout où, comme en Flandre, ou sur les rives supérieures du Rhin, ses domaines bordaient le territoire français. La guerre que la France a soutenue