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avec l’Autriche, contre l’Angleterre et la Prusse unies, a sans doute été très malheureuse : mais laissée seule en face d’une coalition européenne, aurait-elle eu meilleure chance ? C’est le revers de la médaille, et l’on n’y a pas songé suffisamment en traitant sans ménagement les auteurs du traité de 1756. La fâcheuse condition de ceux qui tiennent en main les affaires humaines les condamne souvent à n’avoir à choisir qu’entre deux partis dont aucun n’est sûr. Celui qu’ils préfèrent est le seul mis à l’épreuve et dont la postérité leur demande compte. Des maux ou des périls qu’ils ont écartés la crainte disparaît avec le souvenir. Il est si commode de juger après l’événement.

« On a prétendu, dit Voltaire dans son Précis du siècle de Louis XV, que l’union de la France et de l’Autriche était monstrueuse. Puisqu’elle était nécessaire, sans doute elle était naturelle. » Voilà le vrai mot qui n’a pas moins de justesse et de force pour avoir été dit par un ami, longtemps courtisan, et toujours admirateur de Frédéric.


II

J’en ai dit assez pour faire comprendre que dans le débat qui allait s’engager sur les conditions du traité destiné à consacrer l’alliance des deux cours, l’Autriche se présentait avec un réel avantage, puisque rien ne la pressait d’agir et qu’elle gardait, en cas d’échec, une ligne de retraite qui manquait à la France. Il ne serait pas juste de ne pas tenir compte aux négociateurs français et à Bernis, en particulier, de cette infériorité qui, à chaque résolution qu’ils avaient à prendre, ne pouvait manquer de se faire sentir.

C’était malgré Bernis, on l’a vu, et par une démarche peut-être un peu précipitée que, sous l’influence de l’irritation causée par la convention prussienne, la négociation avait été subitement reportée sur le terrain des premières propositions de Marie-Thérèse ; les mêmes que (soit timidité, soit prudence) les conseillers de Louis XV avaient d’abord écartées. Kaunitz, qui n’espérait pas un retour si prompt à ses idées favorites, ne se fît pas (on le pense bien) prier pour rentrer dans la voie si heureusement rouverte par la manœuvre improvisée de Stahremberg. En réponse à la demande d’instructions complémentaires qui lui était adressée, il envoya, à peu près textuellement, la reproduction de son plan primitif, dont on peut se rappeler les traits principaux : renonciation explicite de la France à tout renouvellement d’alliance avec la Prusse, formation par son aide et avec ses soins d’une vaste coalition d’États (Espagne, Suède, Danemark,