tsarine au courant d’une évolution politique à laquelle rien ne la préparait, d’autant plus qu’on lui réservait un rôle important à jouer dans l’entreprise qui devait en assurer le succès final ; mais de l’humeur mobile qu’on lui connaissait, on n’était pas complètement rassuré sur l’impression que lui causeraient et la surprise elle-même, et le procédé peut-être un peu cavalier avec lequel on se permettait de disposer d’elle, sans l’avoir ni prévenue ni consultée.
Le bonheur voulut que, quand la communication lui fut faite, c’était d’un tout autre côté qu’étaient tournés son déplaisir et même son irritation. C’est contre l’Angleterre et le représentant britannique à sa cour qu’elle se livrait à de véritables accès de fureur. Et ce qui l’exaspérait, à assez juste titre, c’était la convention de Westminster dont allait bénéficier la Prusse et dont la sienne propre, conclue peu de jours auparavant avec l’Angleterre, avait été, comme je l’ai raconté, la cause déterminante. Elle voyait dans cette coïncidence un artifice dont elle avait été dupe et qu’elle ne pouvait pardonner. On lui avait subtilisé sa signature, en lui laissant croire que c’était le préliminaire indispensable d’une lutte qu’elle aurait à soutenir avec Frédéric, et une fois obtenue, on l’avait employée au contraire comme un moyen de pression pour entrer, en meilleures conditions, en alliance avec un voisin qu’elle détestait. On s’était, à la fois servi et joué d’elle ; c’était elle ainsi en définitive qui se trouvait avoir mis la main du roi George dans celle de son neveu. Et ce qui rendait le tour plus piquant, c’est que, la ratification de l’acte qui l’engageait elle-même ayant été retardée par diverses causes, le sceau impérial n’avait pas été apposé depuis plus de deux jours à côté de celui de l’Angleterre quand elle avait appris l’usage, ou plutôt l’abus qu’on faisait à Londres de son nom. « Si j’avais su cela il y a quarante-huit heures, s’écriait-elle, il n’y aurait rien de fait. » C’était surtout au ministre anglais, Williams, qu’elle s’en prenait. Elle avait tort, car cet agent, on l’a vu, nullement averti du revirement que préparait sa cour, était resté dans la bonne foi jusqu’à la dernière heure, et c’était avec une parfaite sincérité qu’entretenant la tsarine des noirs desseins du roi de Prusse, il l’avait enflammée sur la nécessité d’y résister. Aussi déconfit que personne du résultat auquel il avait travaillé sans le savoir, il ne pouvait balbutier que d’assez pauvres excuses en réponse aux reproches sanglans qui lui étaient adressés. On raconte même que, dans une des scènes violentes qu’il avait à subir, il perdit tout à fait contenance et alla jusqu’à verser des larmes.
Un accueil tout différent était réservé au ministre autrichien quand il vint faire l’ouverture dont il était chargé sur le