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sorte que la cession consentie en Flandre ne fût que conditionnelle et pût être révoquée si, la campagne venant à échouer, la Silésie n’était pas rendue à ses possesseurs héréditaires. Enfin l’opération elle-même n’était pas sans présenter quelque difficulté. Plaisance et Parme pouvaient être considérés comme des apanages attribués à la couronne des rois catholiques pour une branche cadette de leur maison. La même qualité serait-elle reconnue à la nouvelle principauté tout différemment assise ? Que se passerait-il si l’infant était appelé à la succession soit de la couronne d’Espagne, soit de celle de Sicile, actuellement possédée par son frère Charles, l’aîné des fils d’Elisabeth Farnèse, que la mort de Ferdinand VI, sans postérité, pouvait appeler à régner à Madrid d’un jour à l’autre ? Autant de points délicats qui ne pouvaient être réglés que de concert avec la cour d’Espagne elle-même dans une négociation préalable, ce qui ne simplifierait pas les rapports déjà très tendus que Bernis était chargé d’aller rendre plus faciles. Il y avait là matière à des débats douteux et à des retards indéfinis dont le moindre inconvénient eût été d’ébruiter les conditions de l’alliance longtemps avant qu’elle fût conclue. Ainsi les difficultés naissant l’une de l’autre, on ne voit pas comment on serait sorti de cet embarras, si Marie-Thérèse et Kaunitz, avec leur netteté de résolution accoutumée, n’avaient offert de commencer par conclure et constater l’alliance par une entente publiquement établie sur les points où l’accord était facile, sauf à renvoyer à une négociation ultérieure et à un traité subséquent les points qui resteraient à débattre.

Au nombre des motifs qui les portèrent à trancher ainsi dans le vif pour arriver promptement à une solution dont on pût faire part au public, il faut, assurément, placer une nouvelle qui leur fut transmise au même moment par le ministre autrichien à Saint-Pétersbourg et qui leur inspira une confiance dont ils voulurent sur-le-champ profiter.

Si amicales que fussent, en effet, les relations établies entre les deux cours impériales, — quelque crédit que Marie-Thérèse se crût assurée d’exercer sur l’esprit d’Elisabeth, — elle n’avait pas pourtant jugé convenable de lui faire part, dès le début, des pourparlers qu’elle engageait avec la France. Cette confidence eût été périlleuse, nul secret n’étant en sûreté dans un lieu où tout était à vendre, et comme aucune relation diplomatique n’était rétablie depuis la dernière guerre entre la France et la Russie, — comme entre les deux pays eux-mêmes, les rapports privés et les correspondances étaient rares, — on était resté à Saint-Pétersbourg dans une complète ignorance de ce qui se méditait à Versailles. Le dénouement approchant cependant, il fallait bien mettre la