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des perspectives toutes différentes ? C’est que, si cette transaction avait bien été reprise dans les termes convenus, elle n’avançait pas et, effectivement, tant qu’elle restait dans les conditions où on s’obstinait des deux parts à la placer, elle n’avait guère de chance d’aboutir. Louis XV tenait toujours, par une subtilité de conscience qu’il n’appartiendrait qu’à un moraliste expert en casuistique d’apprécier, à ne prendre personnellement aucune initiative contre la Prusse et à ne seconder les desseins agressifs que l’Autriche ne se cachait pas de préparer, que par un concours indirect, tel que subvention pécuniaire, conseils ou subsides donnés à des tiers, ou tout au plus par un plan de campagne dirigé contre l’Angleterre, de telle manière que, toutes ses troupes de terre se trouvant occupées, elle ne pût disposer d’aucun auxiliaire en faveur de son nouvel allié. Cette situation, si difficile à bien définir, avait pourtant été très habilement réservée par Bernis dans le mémoire qu’il avait dû tenir prêt pour être remis à Stahremberg dès le lendemain même de la signature du traité. « Le traité défensif qui vient d’être signé, y était-il dit, ne remédie qu’aux maux qui pourraient naître des circonstances présentes, il s’agit donc de prévenir ceux que les événemens ou les vicissitudes des choses humaines peuvent un jour occasionner, » et parmi ces dangers de l’avenir qu’on voulait prévenir, le mémoire signalait « les inquiétudes jetées dans l’esprit public par les ennemis déclarés ou cachés des deux puissances, sur le trouble porté par leur union dans la balance de l’Europe, et les intrigues, les cabales, peut-être les ligues auxquelles ces discours artificieusement semés pouvaient donner lieu. » Il était difficile de s’y mieux prendre pour donner au nouveau traité, si on venait à le conclure, l’apparence non pas de la contradiction, mais au contraire de la conséquence du précédent. Le tour était si adroit que Stahremberg ne put s’empêcher d’en faire compliment peut-être avec une pointe d’ironie à Bernis, en lui disant qu’on voyait bien que la rédaction était d’un et même de deux membres de l’Académie française (l’abbé de La Ville, premier commis des Affaires étrangères, était aussi du nombre des Quarante). Mais quand il s’agit de prendre des résolutions au lieu de tourner des phrases, l’embarras véritable reparut. Au fond la France et surtout Louis XV désiraient obtenir la plus grande partie possible des Pays-Bas, peut-être même la totalité, au moindre prix possible de concours effectif. L’Autriche, de son côté, se montrait disposée à restreindre ou à étendre ses promesses en proportion de la mesure plus ou moins grande, ou de la nature plus ou moins utile du secours qui lui serait prêté. De là une sorte de marchandage qui se prolongeait et un cercle vicieux dont il devenait, après quelques