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semaines de discussions, assez difficile de savoir comment on pourrait sortir[1].

À force de débattre sans avancer, on ne pouvait manquer de reconnaître qu’il y avait un événement, en soi nullement impossible, peut-être même aisé à prévoir, et qui mettrait tout le monde d’accord : ce serait le cas où le roi de Prusse lui-même, mal conseillé ou perdant patience, prendrait le premier le rôle d’agresseur. Le traité défensif entrant alors en vigueur, les scrupules de Louis XV tomberaient d’eux-mêmes, changeraient même de nature et feraient place à l’obligation de tenir loyalement sa promesse, Marie-Thérèse de son côté, disposant des troupes françaises dans la mesure qu’elle avait elle-même calculée d’avance, n’aurait plus de regret à se montrer généreuse.

Une provocation de Frédéric était donc la seule solution d’un débat qui ne semblait pas pouvoir en avoir d’autre. Si l’hypothèse n’avait rien d’attrayant pour la France, qui n’était pas pressée de courir aux armes, elle n’effrayait assurément pas Marie-Thérèse, dont une guerre prompte et réparatrice était le désir ardent et le dessein arrêté. Ce n’est donc pas lui faire tort que de supposer qu’au fond de l'âme elle faisait des vœux pour que l’ennemi dont elle croyait connaître et non calomnier les intentions, se laissât emporter à un acte de témérité qui ne ferait que montrer le fond de son cœur à découvert. « Ce sera peut-être, écrivait déjà, on l’a vu, le 27 avril, Stahremberg à Kaunitz, une faute du roi de Prusse qui nous permettra d’atteindre notre grand objet[2]. »

En attendant cet événement qu’il n’était pas en son pouvoir de provoquer, mais qu’elle ne fit rien pour prévenir, l’impératrice n’avait garde d’imiter l’insouciante inaction de la France, et ne perdit pas un jour pour se préparer à la crise suprême qu’elle voyait venir sans effroi. Sa tâche d’ailleurs était plus simple que la nôtre. N’ayant jamais considéré la paix d’Aix-la-Chapelle que comme une trêve, après avoir refait ses troupes épuisées, elle n’avait, dès le lendemain, rien négligé pour les maintenir sur le pied d’une prochaine mise en campagne. Sans se faire illusion sur leurs forces, et trop cruellement éprouvée pour se croire en état de tenir tête à elle seule à l’habileté de Frédéric comme à son incomparable organisation militaire, elle croyait avoir lieu d’espérer que le jour où elle devrait envoyer son armée sur le champ de bataille, elle ne tromperait l’attente d’aucun des alliés qu’elle appellerait à son aide.

Nul embarras non plus pour le choix et le maintien de ses alliances. À sa clientèle allemande, composée pour la plus grande

  1. D’Arneth, t. IV, p. 446-454, 465-468 : Rapport du comte de Stahremberg. — Réponse du roi très chrétien, 2 mai 1756 (Archives de Vienne).
  2. D’Arneth, t. IV, p. 469.