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formé dans son esprit. Quelques semaines lui suffirent pour masser ses troupes sur les deux frontières qui pouvaient être menacées. Puis, tout étant mis en règle, il manda à Potsdam, le 16 juillet au soir, l’envoyé anglais Mitchell et le pria de faire savoir à sa cour que, dès le lendemain, il enverrait à l’impératrice une sommation d’avoir à s’expliquer sur ses intentions, et que si sa réponse n’était pas satisfaisante, il entrerait sur-le-champ en campagne. Mitchell, tout étourdi, se récria vivement et lui fit remarquer que, portant ainsi le premier coup, il permettait à l’impératrice d’invoquer les traités qui obligeraient ses alliés à la secourir et que c’était la guerre générale. — « Regardez-moi bien, dit alors le roi, en se mettant en face de lui, que voyez-vous sur mon visage : ai-je un nez fait pour recevoir des nasardes ? Par Dieu, je ne m’en laisserai pas donner. — Puis le conduisant devant un portrait de Marie Thérèse : — Cette dame veut la guerre, elle l’aura ! » — « Ma chère sœur, écrivait-il presque au même moment à la margrave de Bayreuth, je me réjouis beaucoup de savoir que vous vous occupez d’un opéra qui vous amuse. J’ai ici un opéra qui m’occupe un peu plus sérieusement… J’ai un pied dans l’étrier et je crois que l’autre ne tardera guère à y être[1]. »

La sommation que son ministre fut chargé de faire à Vienne était ainsi conçue : — « Vous demanderez une audience particulière à l’impératrice, et quand vous y serez admis, après les complimens ordinaires, vous lui direz en mon nom, qu’apprenant de beaucoup d’endroits les mouvemens que ses troupes faisaient en Bohême et en Moravie et le nombre de régimens qui s’y rendaient, je demandais à l’impératrice si cet armement se faisait pour m’attaquer… Si elle vous répond que chacun était maître de faire chez soi ce qu’il veut, tenez-vous-le pour dit et contentez-vous de sa réponse[2]. »

C’était, comme on voit, le prétexte habituel et banal qui précède toutes les déclarations de guerre ; nous n’en avons vu de nos jours même que trop d’exemples, et ce que nous savons aussi, c’est que, quand une rupture éclate entre des voisins aigris et rivaux, cette dénonciation d’armemens excessifs et menaçans est faite en général avec une égale conviction, au moins apparente, par les deux partis qui se mettent en guerre ; il est aussi également vrai que l’un et l’autre ont pris des précautions défensives pour fortifier la barrière qui les sépare. C’est alors question de mesure et surtout de date, il s’agit de savoir qui a commencé et imposé à l’autre la nécessité de se mettre en garde. C’est un point que

  1. Schœffer, Siehenjährige Krieg, p. 196. — Pol. Corr., t. XII, p. 405.
  2. Pol. Corr. Frédéric à Klingraeffen, ministre à Vienne, 18 juillet 1756. — Pol. Corr., t. XIII, p. 90.