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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 126.djvu/531

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était Mme Osborne, trottant aux côtés de son mari, sur un syrien éclatant comme la neige. Il apprit qu’ils habitaient aux portes de la ville, l’ex-consul ayant acheté la propriété du fameux chef révolté Môkrani, qu’on tenait là en surveillance, avec ses femmes et ses serviteurs, et qui venait de mourir. Louvreuil fut repris, tout entier.

A l’idée qu’il pourrait l’entrevoir presque chaque jour, sa joie fut immense, et douloureuse comme ce qui est excessif. Une déception l’attendait, l’accueil glacial de M. Osborne barrant l’entrée de son home d’une main raide, qui, en se dégageant, repoussait d’une façon significative. Il n’invita point Louvreuil à dîner, après une ou deux visites lui ferma sa porte. Bien plus, il profitait d’un deuil survenu pour se soustraire à toute obligation mondaine; il ne paraissait plus en ville, ni sa femme. Louvreuil fut au désespoir. Que devenait-elle, ainsi emprisonnée? Comment parvenir jusqu’à elle? La générale Viot était rentrée en France; il la prévint, mais que pouvait-elle? Des mois s’écoulèrent, et des bruits singuliers filtraient à travers les murs de la propriété mystérieuse : le consul devenait chaque jour plus maniaque, il effrayait ceux qui l’approchaient, vivait des semaines reclus dans une chambre obscure, ne se nourrissant que d’herbes crues. Louvreuil, très inquiet, écrivait plusieurs fois à Mme Osborne, mettait son dévouement à ses pieds. Jamais une réponse ne lui en revint, et il ne savait s’il devait l’admirer ou la prendre en pitié ; certains jours il la détestait. Si encore il lui eût déclaré son amour, elle aurait pu garder un silence de mépris, mais jamais il n’avait cessé de se montrer le plus respectueux, le plus humble des amis déterminés à la servir. Il songea à prévenir les parens qu’elle pouvait avoir, car enfin, avec ce fou, ne courait-elle pas de grands dangers? Mais sa famille était éteinte, elle restait seule et sans appui. Son culte en redoubla, il fit des folies pour s’introduire auprès d’elle, n’y réussit pas. Il allait perdre la tête quand un malheur arriva. M. Osborne, dans un transport de fièvre chaude, se précipita nu, du haut de la maison, sur le faisceau de glaives et de scies d’un énorme buisson d’aloès ; il s’y lacéra et s’y déchiqueta si profondément qu’on eut le plus grand mal à l’en retirer. Son corps n’était qu’une plaie; il mourut trois heures après. Louvreuil parvint alors à voir Mme Osborne, à laquelle les dames de Blidah présentaient leurs condoléances. Il eut peine à la reconnaître, tant elle était changée.

En de telles circonstances, comment se déclarer? Une délicatesse le retint; d’ailleurs que d’empêchemens : rien que la difficulté de lui parler seul à seul ! Elle annonça son retour en France ; ce fut seulement la veille de ce départ, dans le petit